jeudi 16 mai 2013

Camp de concentration



Documents pour servir à l’histoire de la guerre : Camps de concentration du 15/11/1945
–Offre Français d’Edition-

PREFACE

Camps de Concentration est le quatrième volume de la collection « Documents pour servir à l’histoire de la guerre ».

Un sujet aussi vaste et aussi important (car c’est le domaine où la barbarie nazie s’est exercée avec le plus de méthode et ave cette insouciance que donne l’assurance de l’impunité) a déjà été traité dans bien des rapports, a fait l’objet de nombreux et intéressants témoignages et d’émouvants récits. Mais il est évident qu’aucune conclusion positive ne pouvait être tirée de ces documents, dont chacun traitait soit d’un camp soit même souvent de la portion de camp, où se limitaient les horizons de l’auteur de la déposition.

Pour eux les noms d’Auschwitz, de Buchenwald, de Dachau, de Mauthausen, d’Ellrich, de Bergen-Belsen, de Ravensbrück, de Neuhengamme, de Struthoff, de Maidanek ou de Sachsenhausen sont devenus tristement célèbres, mais cette célébrité dans l’horrible contribue à donner une idée imparfaite de la réalité.

En effet, pour un camp de première importance comme Auschwitz où périrent huit millions d’hommes, combien d’autres camps demeurent méconnus où pourtant, quoique à une échelle restreinte, la torture et la mort ont également fait leur œuvre.

J’ai pensé qu’il fallait faire connaître à l’opinion publique mondiale que l’Allemagne nationale-socialiste dans son ensemble (à quoi il faut ajouter les territoires sur lesquels le IIIème Reich avait mis sa griffe) n’était qu’un immense camp de concentration et que par conséquent si l’on voulait faire autre chose qu’un récit de plus, il fallait établir un document de synthèse. C’est ce travail que nous avons essayé de réaliser et, bien qu’il soit certainement incomplet sur bien des points, j’espère que nous ne sommes cependant pas arrivés trop loin du but.

Ce travail concernant l’entité « camps » ne doit pas faire mention de certains en particulier et c’est pourquoi aucun d’entre eux n’est cité dans le texte, sauf dans les rares cas où cela fut vraiment indispensable. Le même critère nous a dirigé lorsqu’il s’est agi de noms de bourreaux ou de victimes.

En effet, chaque témoignage n’est qu’une fraction d’un « crime unique » dont nous voulons reconstituer ici l’exécution.

Nous avons donc pris cent témoignages et dépositions et vingt-cinq rapports qui forment le dossier de cet ouvrage. Ces documents réunis, il ne pouvait être question de les publier in extenso l’un à la suite de l’autre : tous se seraient répétés  et les points importants et originaux de chacun d’eux auraient été noyés.

Nous avons ensuite extrait de chaque déposition, de chaque témoignage, de chaque rapport, tous les passages qui permettaient de réaliser à partir d’éléments de preuves nettement définis, une synthèse anonyme mais juridiquement et scientifiquement exacte.

L’ouvrage présente ainsi une série de chapitres et de sous-chapitres traitant de chaque aspect, de chaque question, depuis le départ pour le camp jusqu’au four crématoire.

Tous ces chapitres ou sous-chapitres sont composés d’une suite de paragraphes qui sont autant de citations (chacune d’elles porte un numéro renvoyant au dossier).

Ces citations ayant une valeur de documents, nous ne nous sommes pas reconnu le droit de  les transformer d’aucune façon ; nous n’avons pas non plus ajouté de texte de liaison entre les citations, ce qui aurait chargé l’ouvrage sans ajouter rien à sa valeur documentaire. Si par conséquent, certains passages vous paraissent peu clairs et le style de quelques paragraphes un peu confus, nous nous en excusons à l’avance.

D’autre part, vous vous apercevrez que l’on passe parfois du masculin au féminin à l’intérieur même d’un chapitre. Chaque fois que cela nous a été possible, nous avons traité séparément des hommes et des femmes, mais là où la différence de sexe ne le justifiait pas, les textes ont été  mêlés.

Ainsi réalisé, cet ouvrage, non seulement par le déroulement de tous les aspects du calvaire des déportés dans les camps, mais aussi par l’exposé d la façon dont a été conçue et réalisée cette entreprise d’extermination des peuples, montre clairement qu’au-delà des forfaits individuels, il y a crime collectif et qu’au-dessus des exécutions, le véritable coupable est la doctrine qui a permis la justification préalable de ces horreurs et en a méthodiquement envisagé l’exécution. Il montre que l’importance qu’attachent les hommes de bonne volonté au problème des crimes de guerre et l’anxiété avec laquelle ils attendent la solution pratique qui lui sera donnée, ne sont pas injustifiées : de l’un comme de l’autre dépendent en effet l’organisation internationale de demain et la paix du monde.

Il n’a pas encore été donné de définition juridique précise du « crime contre la personne humaine ». c’est par suite d’une parfaite identité de vues sur ce qu’il définit très bien comme un crime international de droit commun : « atteinte à titre racial, national, religieux ou politique, à la liberté, aux droits ou à la vie d’une personne ou d’un groupe de personnes innocentes d’une infraction, dépassant la peine prévue », que la réalisation de cet ouvrage a été confiée à M. Eugène ARONEANU. Je le remercie ici d’avoir mené à bien se considérable travail.

Jacques BILLIET
Directeur du Service d’Information
Des Crimes de Guerre





DEPART

« Le convoi comprend environ 1 000 à 1 200 personnes,  hommes, femmes, enfants, vieillards, de toutes les classes de la Société et de toutes les nationalités.

On voyait emmener les femmes accouchées depuis quelques jours avec leurs enfants, des vieillards informes que l’on transportait sur des brancards, des grands mutilés, des enfants en bas âge. Celui des S.S. qui était chargé de ramener des  enfants de la pouponnière de Neuilly, est rentré en disant qu’il n’avait pas eu le courage de ramener des poupons. A ce moment le Haupt-sturmfüher a fait partir un autre autobus qui est revenu avec les enfants ; 350 ont été ainsi déportés. Malgré les bouteilles thermos, le lait condensé et les bouteillons d’eau qui leur étaient remis au départ, la plupart des enfants sont morts en cours de route.

Les S.S. nous déshabillent et nous mettent tout nus, 140 personnes par wagon de marchandises ; les célèbres wagons : 40 hommes - 8 chevaux. C’était un enfer.

Tout fut fermé hermétiquement.

Nous ne pouvions ni nous asseoir ni nous accroupir. En ce qui me concerne j’ai passé la nuit sur un pied, ne pouvant poser le second par terre.

Au milieu du wagon, une tinette pour faire nos besoins qui a été pleine au bout de quelques heures et qui débordait et répandait une odeur épouvantable. Ensuite, les gens faisaient leurs besoins à même le wagon, et nous avons dû effectuer le voyage dans une odeur pestilentielle.

Pendant le parcours, de nombreuses tentatives d’évasion eurent lieu …. Ces évasions extrêmement dangereuses ne pouvaient avoir lieu dans tous les wagons. Nous n’avons pu le faire car le nôtre était placé à côté de celui des S.S. et se trouvait sous leur surveillance constante. Les évasions ont eu lieu surtout la deuxième nuit lorsque nous étions encore en France. Les uns ont pu ouvrir leur wagon, les autres ont pu forcer les lucarnes dont ils ont cassé les barreaux. Lorsque les S.S. s’apercevaient d’une évasion, le train stoppait, la chasse commençait, à l’aide de projecteurs placés sur des tourelles et des mitrailleuses posées à l’avant et à l’arrière du train. Les S.S. se précipitaient des wagons à la recherche de ceux qui se sauvaient et tiraient sur eux. Le dernier wagon du train, resté vide, était destiné à recevoir les cadavres. Il recevait non seulement les tués, mais encore les blessés qui étaient mélangés pêle-mêle avec les morts. J’ai revu ce wagon à Buchenwald, d’où s’échappaient des râles et des plaintes des blessés. J’ai su d’une façon absolument certaine que tous ceux-ci ont été achevés et envoyés au crématoire avec les morts.

Toutes les tentatives d’évasion furent férocement réprimées.

Dans les wagons où les évasions avaient eu lieu les détenus ont été mis entièrement nus, un certain nombre, pris comme otages, étant fusillés sur-le-champ.

J’ai vu l’exécution devant un wagon dans un trou de bombe.

Quelques jeunes gens furent choisis à la hâte …. Nous vîmes arriver les cinq jeunes qui avaient été choisis tout d’abord, chacun était accompagné d’une gendarme allemand portant un pistolet. Au moment où ils parvinrent dans la tranchée, chaque gendarme s’empara d’un détenu, le plaqua contre la paroi de la tranchée et lui tira un coup de pistolet dans la nuque.

Quelques camarades recouvrirent les corps, avant de partir, de quelques pelletées de terre.

Le voyage a duré huit à dix jours, pendant lesquels nous avons eu deux fois de la soupe et deux fois du pain.

Pour faire le trajet de Cherbourg à Hazebrouck, le convoi a mis neuf nuits et dix jours.

Nous étions tous torturés par la soif, j’ai vu certains de mes camarades en arriver à boire leur urine, d’autres lécher la sueur sur le dos des autres déportés, d’autres encore récupérer la condensation sur la paroi des wagons.

En gare de Brême, l’eau nous a été refusée par la Croix-Rouge allemande qui a déclaré qu’il n’y avait pas d’eau pour nous.

Nous étions morts de soif. A Breslau, les détenus ont à nouveau supplié les infirmières de la Croix-Rouge allemande de nous donner un peu d’eau. Elles sont restées insensibles à nos supplications.

Pas d’eau, une chaleur torride, par d’air (les volets étant fermés).

A chaque arrêt ce ne furent que des voix suppliantes, partant des wagons, demandant de l’air. Un officier allemand répondait chaque fois invariablement  « vous n’avez que ce que vous méritez ».

Lors des haltes, ceux qui se hasardaient à ouvrir une fenêtre et à demander du secours à la police allemande, qui accompagnait le convoi, recevaient un coup de revolver ou une rafale de mitraillette, puis étaient achevés.

Deux camarades sont morts étouffés. Personnellement, jusqu’au matin je m’occupai à donner des soins à mon ami qui souffrait d’une crise cardiaque.

Vers dix-sept heures on comptait une centaine de cas d’asphyxie, puis le nombre alla augmentant de minute en minute.

Dans chaque wagon on a observé des cas de folie caractérisée. Certains détenus ont dû même tuer d’autres détenus devenus fous et dangereux.

Dans un certain wagon, il y eut des scènes horribles, au cours desquelles, dans des cas de folie collective, les détenus s’entretuèrent avec une cruauté inouïe.

J’ai vu de mes propres yeux un convoi de détenus qui étaient tous devenus fus.

Dans un des wagons, 64 déportés arrivèrent morts, asphyxiés.

Il y avait, dans mon wagon, 82 cadavres sur les 126 personnes au départ. Inutile de vous dire que dans les autres wagons, c’était à peu près pareil.

A l’arrivée au camp, on comptait 896 morts.

Sur les 1 200 Français, 500 à peine sont arrivés.

Mon convoi, composé de 2 500 détenus au départ, avait perdu en cours de route, dans des conditions atroces jusqu’alors jamais vécues, 912 détenus.


ARRIVEE

Enfin nous arrivons à onze heures du soir par une nuit opaque. Vision d’horreur, vision d’épouvante, heures les plus pénibles de ma captivité. Cris de bêtes sauvages, aboiements sinistres. Qu’était tout cela ? La réception des geôliers escortés de leurs gros chiens loups admirablement dressés pour les seconder dans leur rôle de garde-chiourme. Effrayés, nos jambes se refusent à nous porter, nous ne pouvons plus avancer.

Le wagon a été ouvert brusquement et les S.S. sont montés, ils nous ont vidés à coups de crosse de baïonnette et à coups de bâtons en hurlant et ont lâché les chiens. Ceux qui tombaient et ne pouvaient plus se relever étaient lacérés par ceux-ci. J’avais une grande pèlerine, les chiens s’y sont accrochés, je la leur ai abandonnée.

On ôta des wagons les morts, les mourants et les bagages. Les morts, et par ce mot il faut entendre tous ceux qui étaient incapables de se tenir debout, furent empilés en un tas. Les bagages et les paquets furent rassemblés, les wagons de chemins de fer furent nettoyés afin qu’il ne restât aucune trace de leur horrible contenu.

Les S.S. tuèrent près du train la plupart des enfants. M.A. vit ses deux petits garçons s’affaisser à ses côtés. Des Français ont été abattus sur le quai de débarquement par les S.S. .

J’ai vu un S.S. prendre un gosse par les pieds et le jeter en l’air tandis qu’un autre tirait sur cette cible vivante. Plus loin un S.S. arrache un bébé des bras de sa mère et le déchire en deux en le tenant par une jambe et en maintenant l’autre sous le pied.

Un officier procède au triage ; il fait mettre tout le monde nu et demande le compte du « déchet ». Le « déchet » ce sont les morts. Il y en a 954.

Un transport comprenait 800 cadavres pour 2 500 déportés. Le transport avait fait d’abord 80 kilomètres à pied, puis avait été embarqué sur « trucks » dans lesquels ils avaient voyagé pendant huit jours.

Comme spectacle horrifiant, j’ai vu l’arrivée de transports venant particulièrement de Grosskoyn. Les détenus étaient partis au nombre de 3 000, ils avaient dû faire sans s’arrêter 60 kilomètres à pied, chassés à coups de bâtons sans avoir mangé. Au bout de 60 kilomètres, ils ont été hissés sur des « trucks » à 100 par véhicule, obligés de s’accroupir ; le premier qui se relevait était abattu à coups de feu. Ils ont voyagé ainsi sept jours et sept nuits. Ils sont arrivés avec 700 cadavres et 700 malades, qui, on peut dire, sont morts par la suite. Ils sont descendus du train et là, ceux qui n’ont pas pu marcher jusqu’au camp, ont été abattus.

Les plus grands transports de Français arrivèrent au camp en juin 1944. A ce moment j’ai vu des cadavres que je n’oublierai jamais. La brute nazie empilait dans des wagons 100 à 400 hommes. Je me souvenais de notre convoi où nous étions seulement 50 dans un wagon dans lequel nous ne pouvions plus bouger ni respirer et je me demandais comment des hommes pouvaient arriver vivants dans ces conditions. Ces personnes étaient toute mortes d’asphyxie, le visage complètement noir, les lèvres horriblement dilatées. Il y avait plusieurs camions de cadavres dans cet état, qu’il fut d’ailleurs impossible d’autopsier et qu’il fallut mener au crématoire tout de suite ; ils avaient encore tous leurs vêtements civils et portaient sur eux les photos de leur famille. On était en juillet 1944 et le four crématoire fonctionnait toute la nuit.

On sépare les femmes et les enfants les vieillards des autres déportés et nous n’avons plus eu de nouvelles d’eux. Je crois que ma femme faisait partie de ce tri est passée dans les chambres à gaz avec les autres.

Les prisonniers défilent un par un devant un S.S. qui, d’un geste du doigt, indique la direction qu’ils doivent prendre : à gauche, les hommes compris entre 20 et 45 ans  et les femmes jeunes, donc des gens capables de produire. A droite, tout le reste du convoi : femmes et enfants, vieillards, malades, les inutilisables, les bouches inutiles.

Nous fûmes conduits de la gare au camp à coups de crosse et sous la menace des chiens.

Malgré notre faiblesse nous dûmes faire les 5 kilomètres de la gare au camp à pied.

Les S.S. nous avaient volées au passage de la frontière nos chaussures. Aussi dûmes-nous faire le chemin qui nous séparait de la gare au camp pieds nus dans la neige et la boue.

A grands coups de poing dans le dos, à coups de pied, ces brutes nous somment d’aller rapidement et en silence. Aucun retard, aucune défaillance n’était toléré. Mes camarades déjà fatigués par le poids de leurs bagages sont terrifiés et presque sans vie devant les hurlements de cette double meute, les S.S. et leurs chiens.

La grande majorité des détenus était dans l’impossibilité de marcher. Tous ceux qui ne pouvaient marcher étaient laissés sur le bord de la route et on ne les a plus jamais revus. Je puis préciser cela d’une façon absolument certaine car j’étais employé à l’hôpital. Je n’ais jamais revu aucun de ceux que nous avons abandonné sur la route. Tout porte à croire qu’ils ont été supprimés.

Le trajet, il fallait l’effectuer en courant ; les vieux qui ne pouvaient pas courir tombaient et étaient achevés à coupes de crosse.

Quelques jours après, arrivage de 700 Russes dans le même état que les précédents. Ils sont affamés, on dirait de véritables bêtes. Ils sont gardés par les soldats allemands qui, pour la moindre chose, tirent.

Est arrivé au camp un convoi de Juifs de Budapest qui sont venus à pied dans la neige. N’ayant plus rien à manger depuis plus d’une semaine, n’ayant pas d’eau, ils mangeaient de la neige. A leur arrivée sur la place ils ont été rangés avec défense de s’asseoir et interdiction pour nous autres détenus du camp de les approcher. De temps à autre l’un d’entre eux tombait mort. Derrière cette colonne suivaient les camions de ramassage où s’entassaient plusieurs centaines de morts. On les déchargeait comme on aurait ait de barres de fer.

Des milliers de malheureux, poussés par des S.S. et leurs chiens, étaient morts de fatigue ou abattus comme des animaux sur la route dans la neige.

Avant d’entrer au camp, vérifications de la liste des détenus qui accompagnaient notre convoi : chaque prisonnier était appelé et devait donner son nom. S’il le prononçait à la française et qu’il était inintelligible pour les Allemands, il recevait un coup de matraque. Un  jeune S.S. de 17 ans qui venait de Transylvanie (dont j’ignore le nom) a cassé ainsi deux matraques sur le dos des arrivants.

Devant la porte et dans le couloir étaient postés des jeunes S.S. qui tapaient sur les arrivants soit avec la main, même avec la crosse de leur fusil, soit avec les pieds. Dans une sorte de vestibule étaient postés, visages contre le mur, une vingtaine de prisonniers. Par des vociférations et des coups, on faisait comprendre aux arrivants (Français, Russes, Polonais, Belges, Allemands, etc.) qu’ils avaient à prendre la même attitude que leurs devanciers. Gare à celui qui tournait la tête ou qui bougeait un peu. Les coups pleuvaient sur le malheureux qui, pour la plupart du temps, ne savait pas pourquoi il était battu. De temps à autre quelqu’un criait : « les suivants » (die nachsten).

Comme la plupart ne comprenait pas l’allemand, personne ne bougeait. Ceux qui devaient entrer au bureau étaient alors battus à outrance. Beaucoup tombaient et étaient malmenés à coups de pied. Cela continuait à l’intérieur du bureau … j’étais plus mort que vivant lorsque vint mon tour d’entrer.

Deux géants fouettaient avec des courroies de cuir les détenus au fur et à mesure de leur entrée

Pour ma part j’ai eu trois dents arrachées et la lèvre ouverte par un sous-officier S.S. dont je ne connais pas le nom.

Au camp même nous commençâmes à être frappés dès l’arrivée.

Le nombre des geôlières augmente ; les mauvais traitements vont de pair. C’est à celle qui frappera le plus fort, bousculera le plus sauvagement.

Il faisait presque nuit. Nous devons marcher en colonne par trois et au pas pour faire les 100 mètres qui nous séparaient de notre baraque. Nous étions entourés par les S.S. Lorsqu’il y avait quelqu’un qui ne marchait pas au pas ou qui sortait un peu du rang, ou qui tournait la tête, il était battu soit avec la crosse du fusil, soit à coups de pieds. Arrivés devant notre baraque, on nous dit de rentrer dans la cellule n°4. C’est encore à grands coups qu’on nous fit trouver notre cellule qui ne portait pas de numéro.

Les jeunes filles flagellées. Elles reçurent 30 coups de cravache sur les fesses nues. L’opération se fit en présence du chef du camp, d’un médecin et de la gardienne chef.

Dès l’arrivée au camp, immatriculation par tatouage sur l’avant-bras gauche.

On me marqua un chiffre au fer rouge.

Nous perdions toute personnalité, nous devenions un numéro.

Les enfants et les nourrissons eux-mêmes étaient tatoués.

En arrivant au camp, les Russes ont trouvé un nourrisson de deux semaines portant un numéro matricule.

Pour la désinfection, c’était  le déshabillage complet. On visitait les oreilles et toutes les parties du corps pour voir s’il n’y avait pas quelque chose caché. On passait dans une première chambre : épilation complète au rasoir électrique et à la tondeuse.

Aucune partie velue du corps n’échappait au rasoir.

Vous assistiez impuissante à la disparition totale de votre chevelure sous la tondeuse.

En général, 7 femmes sur 10 tondues, on ne savait pas pourquoi, c’était une moyenne à eux.

Ur les 964 femmes de notre convoi environ 600 ont été tondues. Cela se faisait au hasard, sans aucune discrimination.

Lorsqu’on nous tondait, on nous donnait une explication rassurante : les textiles animaux sont plus chauds que les textiles végétaux, alors rassurez-vous, rien n’est perdu, l’industrie allemande récupère tout ; avec vos cheveux nous ferons des couvertures, des vêtements de S.S., etc. En effet, alors que nous n’avions rien à nous mettre, les chiens S.S. portaient des manteaux (avec l’inscription S.S.) qui étaient souvent faits avec nos chevelures.

On nous faisait ensuite passer dans une seconde chambre qui était la douche, on nous plongeait dans une immense baignoire remplie d’une solution à base de phénol. Les gens trop fatigués mourraient à la sortie de cette baignoire car l’opération était très pénible ; d’autres tombaient en syncope et ne se relevaient plus.

Au moment du passage à la baignoire, j’ai vu un vieux Français qui avait été sorti du wagon par ses camarades, traîné ensuite au déshabillage et à la tondeuse puis à la douche. Là, deux brutes lui ont donné des coups de poing. Puis, pris par les épaules et par les pieds, il fut balancé dans la baignoire où il est mort. Il fut ensuite jeté dans un coin.

Brutalement, elles nous poussent vers une grande salle destinée aux douches. Là nous passons par cinq et chacune à notre tour nous sommes fouillées très profondément. Je dis bien « profondément » car c’est jusqu’aux profondeurs du vagin qu’on nous visite Les femmes S.S. pratiquent le toucher vaginal de l’une à l’autre sans se laver les main, même sur les toutes jeunes filles, en présence des S.S. hommes et les chiens qui bondissent sur les prisonnières nues quand elles bougent.

Les Allemand faisaient des fiches  pour chacune de nous et ils inscrivaient des maladies qui n’existaient pas. Moi, par exemple je figure comme pulmonaire et cardiaque alors qu’aujourd’hui, après tant de souffrances : typhus, double pneumonie, etc. les examens récents que je viens de faire révèlent que mes poumons sont en parfaite santé alors qu’au cœur je n’ai qu’une faiblesse due au régime subi les 4 années ½ de détention dont deux ans en Allemagne. Les Allemands procédaient ainsi afin de pouvoir justifier un jour d’une mort survenue naturellement.

On nous dépouille de nos vêtements et de tous objets personnels. Rien ne doit rappeler notre chez nous.

Puis nous fûmes habillés avec des haillons (occasion naturellement de nous voler nos vêtements) et, enfin chaussés de claquettes, soit d’une des choses les plus infernales du camp. Ces claquettes composées d’une semelle de bois de buis (puis ensuite en bois de hêtre) et d’une simple bande à l’extrémité du pied pour les maintenir, obligeaient ceux qui les portaient à lever les pieds assez hauts à chaque pas.

Très souvent, lorsque les convois arrivaient, le camp était surpeuplé. Il n’y avait donc pas de place pour recevoir les nouveaux arrivants. Les détenus devaient attendre deux ou trois jours leur admission dans les blocks. Ils restaient dehors sans nourriture car ils ne faisaient pas partie de l’effectif du camp tans qu’ils n’étaient pas affectés dans les blocks. Le résultat d’une telle attente était la maladie (pneumonie, bronchite, etc.) d’un grand nombre de détenus.

Nous avions été parqués dans une tente à mille deux cents, et un soir j’ai voulu avec un de mes camarades, M.P.S. de Paris, en mesurer la superficie : nous avons trouvé que cette tente avait 25 mètres carrés. Nous devions naturellement nous tenir plus ou moins debout, et finissions par tomber les uns sur les autres.

Nous sommes restés une dizaine de jours à coucher sur la terre mouillée sans couverture, sans paille et, évidemment, sans feu. En novembre 1939 après la campagne de Pologne, environ 2 000 P.G. polonais sont arrivés au camp. Sous prétexte d’épouillage, ils ont été déshabillés complétement par un froid rigoureux (12° en dessous de zéro) et parqués dans un petit rectangle entouré de barbelés ; leurs effets furent incinérés. Ils recevaient pour toute nourriture 1/10ème de boule de pain par jour. Au bout de trois semaines, il n’en restait plus qu’une dizaine. Tous les autres sont morts de froids et de privations.


VOLS

Des Juifs hollandais et français nous dirent qu’ils avaient été informés par les Allemands qu’ils quittaient leur pays pour être transférés en Pologne où chacun serait capable de continuer à travailler à son propre métier ou, mieux encore, on leur promettait que pour chaque magasin, établissement ou usine saisis par les Allemands, un moyen de vivre équivalent serait mis à leur disposition.

Ils devaient prendre avec eux toute leur fortune et de l’argent liquide pour au moins six semaines. Il en résulta qu’une quantité considérable d’argent et de valeurs arriva au camp.

Nous avons été dépouillés de notre argent et de tous nos bijoux.

Les S.S. et la Gestapo dirigent toutes les opérations.

Pendant ces diverses opérations, j’observe l’attitude de nos gardiens ; ils rapinent déjà pour leur propre compte et leurs poches s’emplissent d’objets de valeur et d’argent.

Poussés par l’esprit de rapine et de vol, on vit à plusieurs reprises, lors de visites, des personnages importants du Parti, des officiers supérieurs et subalternes, se remplir les poches de bijoux, de brillants, de valeurs et de monnaies étrangères.

Je n’ai pu me résoudre à leur remettre mon alliance et je l’ai avalée au cours de ma captivité. J’ai renouvelé deux fois l’opération.

Au cours du trajet, un jeune S.S. âgé de 20 ans environ s’approcha de moi et me dit en français : « Donne-moi ton alliance ». Je n’ai pas répondu. Il me frappa brutalement et je fus frappé ainsi durant 5 kilomètres à coups de crosse et de fusil sur les reins et les épaules. Après ces 5 kilomètres, je suis tombé en syncope. Il m’a roulé à coups de pieds dans le fossé et lorsque je suis revenu à moi, avec sa lame de couteau, il essayait de faire glisser mon alliance qu’il put finalement avoir en crachant sur mon doigt et me l’arrache. Il me redressa à coups de crosse et me remit dans les rangs.

On inscrivait soigneusement sur un registre le nombre des dents aurifiées de chaque détenu.

Ils arrachaient les dents des prisonniers à la recherche de diamants qu’ils disaient pouvoir être cachés dans les dents cariées. Ils arrachaient aussi les couronnes qui n’avaient pas été mentionnées dans le nomenclature.

Avec une tenaille, on m’arracha toutes mes dents en or.

Je tiens à signaler que les Allemands nous faisaient écrire à nos familles sur du papier qui portait une mention imprimée indiquant « l’existence d’une cantine et l’autorisation qui nous était accordée de recevoir des mandats pour faire des achats à cette cantine », qui naturellement n’existait pas.

Ils ne m’ont jamais rendu l’argent qu’ils ont pris dans mon portefeuille ils ne m’ont jamais donné les sommes que ma femme m’envoyait, soit 25 marks par mois pendant quatre mois.

J’ai appris à mon retour à Paris, que les hommes de la Gestapo qui m’ont arrêté chez moi, le 15 août 1942, avaient pris dans mon bureau une somme de 225 000 francs en billets, qui s’y trouvait déposée. Ils m’ont pris également dans une armoire 180 000 francs de bons du trésor appartenant à Melle P.

Pour certaines besognes, les bourreaux du camp utilisent les détenus, la plupart volontaires, par exemple ce jeune Luxembourgeois qui était spécialement chargé de rechercher les bijoux dans le vagin des femmes mortes.

Le « Canada » est le nom donné à l’organisme du camp dans lequel sont employés 1 200 hommes et 2 000 femmes ; c’est l’endroit où est stocké, trié, emballé et expédié sur l’Allemagne, le matériel de toutes sortes provenant des transports : effets de toutes natures, alimentation, produits pharmaceutiques et de parfumerie, bijoux, peintures, lingerie, vêtements, tabac, cigarettes, literie, poils et cheveux récupérés à la tonte. Dans ce kommando, les Allemands ont formé une équipe de spécialistes de rechercher parmi les vêtements et dans la literie, les brillants et autres valeurs que les intéressés peuvent avoir perdu.

Toutes les affaires volées aux détenus étaient soigneusement triées et dirigées sur l’Allemagne.

Dans l’immense dépôt de chaussures découvert au camp n°6, on a trouvé des chaussures portant la marque de fabrique de Paris, Vienne, Bruxelles, Varsovie, Trieste, Prague, Riga, Anvers, Amsterdam, Kiev, Cracovie, Lublin, Lvov et autres villes ; chaussures de différents modèles et pointures, pour bommes, femmes, adolescentes, enfants d’âge préscolaire, bottes de soldats, bottines, bottes de paysans. en outre, on a découvert au dépôt un grand nombre de pièces de cordonnerie (semelles, semelles inférieures, talons) triées, rangées en piles et préparées pour être expédiées en Allemagne.

La commission a établi que dans ce seul camp de destruction l y avait plus de 820 000 paires appartenant à des enfants, à des hommes et à des femmes martyrisés et morts.

Dans le dépôt immense de la Gestapo, rue Chopin, à Lublin, la commission a trouvé des stocks de linge d’hommes, de femmes et d’enfants, ainsi que toutes sortes d’objets d’usage personnel Par exemple plusieurs rayons avec des pelotes de laine à tricoter, des milliers de lunettes, des dizaines de milliers de paires de chaussures pour hommes, dames et enfants, des dizaines de milliers de cravate portant la marque des différents villes –Paris, Prague, Vienne, Berlin Amsterdam, Bruxelles- des dizaines de milliers de ceintures pour femmes, dont une partie avait été triée et préparée pour être expédiée. Des peignoirs de bains, pyjamas, pantoufles, quantité de jouets, de tétines, de blaireaux à raser, ciseaux, couteaux et un grand nombre d’autres objets d’usage domestique. On y a découvert encore une multitude de valises ayant appartenu à des citoyens soviétiques, polonais, français, tchèques, belges, hollandais, grecs, croates, italiens, norvégiens, danois, ainsi qu’à des Juifs de différents pays.

Le prisonnier de guerre de l’armée allemande, Obersturmührer S.S. Ternes, en sa qualité d’ancien contrôleur des finances du camp, a déclaré : « En ce qui me concerne, je sais que l’argent et les objets de valeur saisis sur les prisonniers ont été acheminés sur Berlin. L’or prélevé sur les prisonniers était envoyé au poids. Tout ce bien, en somme volé, constituait un chapitre de recettes pour l’Etat allemand. On a envoyé à Berlin des quantités d’or et d’objets de valeur. Je suis au courant de tout cela parce que je travaillais au camp comme contrôleur des finances. Je tiens à souligner que quantité d’or et d’objets de valeur n’ont pas été portés sur le registre des recettes parce que volés par les Allemands qui confisquaient tout cela ».





VETEMENTS

Au point de vue vêtements, c’était insuffisant. De temps en temps on passait la visite et les vêtements supplémentaires à la tenue qui avait été donnée étaient supprimés. A ceux des détenus qui avaient pu se procurer par exemple des pull-overs contre les rations de pain de deux ou trois jours, on les leur retirait ainsi que tout ce qui n’était pas règlementaire, jusqu’aux vêtements de papier que certains détenus portaient sur la peau pour se préserver du froid.

On retirait les vêtements supplémentaires même aux vieillards, aux gens fatigués, aux invalides.

Le manteau était également défendu, le veston et la chemise étaient seuls autorisés.

Vous êtes engourdies par le froid matinal et rigoureux en hiver car, en cette saison, pas plus qu’aux autres, il ne vous est permis de porter un vêtement de laine.

Par des tornades de pluie, nous étions trempées et nos robes de bure devenaient des fardeaux que nous avions peine à porter.

Elles pesaient des kilos et les femmes ne pouvaient marcher.

Nous étions obligés de les tordre et de les porter toute la journée ainsi, car nous n’avions pas de feu pour les faire sécher.

Les chaussures en bois dont nous avions été pourvus provoquaient au bout de quelques jours des blessures, celles-ci ne pouvaient être soignées et il s’ensuivait des phlegmons qui entraînaient la mort dans beaucoup de cas.

HABITATION

Cinquante baraques de bois, vingt bâtiments en ciment, aménagés pour seize mille hommes constituent à proprement parler le camp de concentration.

Tous ces bâtiments sont construits selon un modèle standard. Chaque maison a environ trente mètres de long et huit à dix mètres de large. Alors que la hauteur des murs dépasse à peine deux mètres, l’élévation du toit est disproportionnée : 5 mètres environ, de telle sorte que la maison donne l’impression d’une écurie surmontée d’un vaste grenier à foin. Il n’y a pas de plafond intérieur de façon que la pièce atteint au centre une hauteur de 7 mètres ; en d’autres termes, le toit pointu repose directement sur les quatre murs. La pièce est divisée en deux par une séparation courant  dans son milieu sur toute la longueur, et présente une ouverture qui permet de communiquer entre les deux zones ainsi séparées. Le long des murs de côté et aussi le long de la séparation centrale, deux planchers parallèles, divisés à leur tour en petites cellules par des séparations verticales, ont été construits à environ 80 centimètres de distance. Il y a donc trois étages : le rez-de-chaussée et les deux planchers construits dans les murs de côté. Normalement, trois personnes vivent dans chaque cellule. Comme on en peut juger d’après les dimensions indiquées, ces cellules trop étroites pour qu’un homme puisse s’y allonger et leur hauteur ne lui permet pas de rester assis en se tenant droit, à plus forte raison de s’y tenir debout. C’est de cette façon que quelque 400 à 500 personnes se trouvent logées dans une maison du « quartier » comme on l’appelle aussi.

Nous étions 750 dans notre block qui avait 50 mètres de long et 10 mètres de large ; vu l’obliquité des parois, ce block avait 6 mètres de haut sur la ligne médiane et 4 mètres à peu près  sur la ligne latérale. L’effectif était, le 4 avril 1945, de 1 350 hommes. Or, il y avait de la place et peu, pour 936 hommes couchés, si bien que les hommes ne se couchaient guère que deux nuits sur trois. Ceux qui ne se couchaient pas, restaient assis sur les bancs ou debout. Dans certains blocks l’encombrement fut pire et on m’a donné, sans que j’aie pu le vérifier, le nombre de  2 100 personnes qui, certaines nuits, furent entassées dans des blocks de capacité identique.

L’atmosphère était irrespirable.

A notre arrivée, les dortoirs nous ont paru très bien : lits bien alignés et sur chaque paillasse une courte pointe bleue-blanche, c’était presque coquet. Mais hélas ! notre contentement fut de courte durée ; en soulevant la courte pointe nous avons constaté que les paillasses et couvertures grouillaient de vermine. Ma couverture à moi était même pleine de matières.

On couchait sur les matelas remplis de copeaux de bois.

Nous étions 10, 11 et 12 par travées de 4 mètres de large sur 1m.85 de long et 1m.06 de hauteur (ce dernier chiffre approximatif). La tête ce chaque bagnard reposait sur les pieds de son voisin.

On manquait de place pour y dormir sur le dos.

Ceux qui voulaient se retourner la nuit, devaient frapper leurs camarades pour qu’eux-mêmes se changent. Nous couchions en sardines, tête bêche et sur le côté.

Les femmes n’avaient plus leurs règles ; sur 10 cadavres de femmes on a constaté que 9 avaient les ovaires desséchés du fait que les boches ne voulaient pas qu’elles dorment allongées ; elles étaient jusqu’à douze et treize cents.

Les femmes couchaient jusque dans les w.c., et même dehors, parfois par 32° au-dessous de zéro.

Le camp pouvait recevoir à la fois de 25 000 à 40 000 personnes. Il y eut des périodes où l’on y enregistrait jusqu’à 45 000 prisonniers. Les internés de ce camp ne formaient pas un contingent stable.

Le camp renfermait des prisonniers de guerre de l’ancienne armée polonaise, capturés dès 1939, des prisonniers de guerre soviétiques, des citoyens de Pologne, France, Belgique, Italie, Hollande, Tchécoslovaquie, Grèce, Yougoslavie, Danemark, Norvège et d’autres pays.

On comptait, parmi les prisonniers, quantité de femmes, d’enfants et de vieillards. Parfois les détenus formaient des familles entières. On trouvait des enfants de tout âge, y compris des tout-petits.

                                                NOURRITURE       

La nourriture était au-dessous du minimum vital.

Pas assez pour vivre et top pour mourir.

Le matin à 7 heures, distribution de café : de l’eau noire toujours faite avec de la neige fondue, c’est tout.

Les repas sont loin d’être fameux ; feuilles d’ortie, de betteraves, des rutabagas, un peu de patates, un morceau de pain. 250 grammes le soir avec un semblant de marmelade ou un ersatz de fromage blanc, voilà pour la nourriture.

Le pain était composé de 40% de fécule de pommes de terre, 25% de farine de châtaignes, 20 à 25% de farine d’orge et le reste était de la sciure de bois amalgamée.

Les rations de pain étaient extrêmement variables, allant de 150 à 250 grammes, ce qui était énervant, car nous ne savions jamais comment nous devions le manger.

La nourriture était infecte.

Même dans la soupe il y avait des légumes avariés ce qui provoquait de nombreuses dysenteries.

Il était également très courant de mêler à la soupe de l’interné un produit pharmaceutique qui lui donnait la dysenterie et provoquait de grosses pertes de sang. Tout remède était impuissant.

Souvent le manger du soir était froid car il était déjà porté vers 4 heures dans les baraques alors que l’appel durait quelquefois jusqu’à 18 heures et même plus longtemps.

La soupe restait si longtemps dehors qu’elle se transformait en bloc de glace. A ce moment-là seulement elle était servie.

Il était interdit d’avoir un couteau et à un certain moment nous fûmes privés de cuillères. Nous étions alors forcés de laper notre soupe.

Les uns avaient une assiette, les autres une boîte de masque à gaz ou boîte de conserves toute rouillée. Chacun mangeait dans des récipients invraisemblables.

Tous les colis que nous recevions étaient confisqués et l’on ne nous remettait que les emballages vides.


Pendant les quatre mois que j’y suis restée on n’a rien reçu de la Croix-Rouge.

Aucun paquet n’est jamais parvenu aux prisonniers.

J’ai vu arriver des colis de la Croix-Rouge Française avec la mention « pour l’homme de confiance des internés français ». Les S.S. nous ont fait observer qu’il n’y avait pas d’hommes de confiance des internés français et que, par conséquent, ils avaient le droit de disposer des colis comme ils l’entendaient, ce qu’ils firent d’ailleurs.

Tous nos colis nous étaient régulièrement volés. Nous voyions les « oberherrin » mangeant des produits qui venaient de France et nous en devinions la provenance. Dans les poubelles nus retrouvions les boîtes à sardines vides et les empaquetages des petits biscuits rectangulaires fabriqués chez nous.

Les « offizierinen » vendaient sous nos yeux aux ouvriers civils de l’usine des paquets de denrées alimentaires prélevés sur nos rations.

Théoriquement les rations indiqués sont celles que le prisonnier recevait mais pratiquement une bonne partie en était volée avant qu’elle ne fût réellement distribuée.

En outre, on perdait une bonne partie du café, de la soupe ou du casse-croûte car c’est toujours au pas de course que nous recevions notre nourriture. Il faut tenir d’autant plus compte du fait qu’il fallait éviter les divers gardiens qui jalonnaient le chemin et qui nous donnaient toujours des coups de crosse ou de pieds. Pour les jeunes cela allait encore, ils étaient lestes et savaient éviter ces divers écueils sur leur chemin,  mais il y avait des vieux, des estropiés, etc….. qui devaient faire tout comme les autres. C’est sur ces malheureux que s’abattait toute la bestialité de cette horde diabolique.

Pour toucher nos repas nous devions passe en file indienne, sous une grêle de coups de bâton. On nous sert cette eau bouillante si bien que nous ne pouvons porter notre gamelle sans en renverser et, comme nous n’avons pas le droit de marcher, il faut toujours courir, c’est quelques coups de plus sur nos côtes et presque plus rien dans nos gamelles.

La soupe et la tisane étaient perçues dans des récipients d’une contenance de 50 litres. Ces récipients vides, semblables au modèle de marmite norvégienne utilisée dans l’armée française, pesaient environ 30 kilos ; pleins, ils faisaient 50 kilos sans couvercle.

Pour la tisane du matin ou du soir, 7 marmites étaient nécessaires ; pour la soupe il en fallait 14. Ces marmites sont difficilement maniables, deux ou quatre personnes peuvent les porter avec difficulté, d’autant plus qu’il fallait faire attention pour ne pas se brûler, vu que les marmites étaient dépourvues de couvercles – ceci intentionnellement. Ces malheureuses essayaient bien de régler leur pas pour limiter au strict minimum les chocs afin d’éviter les éclaboussures brûlantes de la tisane ou de la soupe mais cela était bien difficile, d’autant que le chemin à parcourir était parfois assez long (pour les baraques éloignées les cuisines étaient distantes de 1km500) et par une route boueuse et glissante, pleine de fondrières ou par endroits on s’enfonçait dans la boue jusqu’aux genoux. C’était un véritable supplice. Lorsqu’elles ralentissaient leur marche, une femme S.S. ou un S.S. rappelait sa présence par quelques coups de gourdin. Résignée, la plupart se raidissaient avec courage mais leur état de santé souvent ne répondait pas à leur désir de vaillance. Alors elles tombaient évanouies soit sous les coups, soit exténuées. Leur chute avait pour conséquence le renversement de la marmite qu’elles portaient. La soupe était répandue, c’était là tout le but recherché par les Allemands. Le contenu n’étant pas remplacé, toute la collectivité en souffrait car il y avait une répartition sur l’ensemble et la ration s’en trouvait diminuée. Comme cet incident se renouvelait souvent, la ration normale, déjà insuffisante, se trouvait réduite et il résultait un affaiblissement plus rapide.

C’était toute une histoire pour obtenir une louche de soupe. Sur le grand nombre qui arrivait, une centaine seulement l’avait. Les autres étaient chassés à coups de pied et de poing.

Pour avoir notre repas, il fallait faire la queue dans la cour, sous la pluie et le froid, et attendre parfois une heure et demie avant d’être servies.

Pour aller chercher notre soupe nous devions exécuter les ordres des sous-officiers qui nous disaient de nous mettre en ligne à 150 mètres du bouteillon et de venir en rampant jusqu’à lui. Lorsque nous arrivions, ils nous commandaient de faire demi-tour et de revenir à cloche-pied, le tout accompagné de coups. Nous ne savions comment nous caser pour manger notre soupe, nous allions dans les couloirs ou les cabinets.

La première fois que je suis allée chercher ma soupe, j’ai dû m’y rendre à quatre pattes étant dans un état de faiblesse extrême.

Lors de la distribution de nourriture, les scènes suivantes se passaient presque journellement : a) si la colonne se tenait trop près du distributeur, le surveillant donnait des coups généralement avec un gros bâton ou une latte sans regarder où il tapait (si la colonne était trop éloignée du distributeur, la même scène se répétait pour le motif inverse) ; b) si, par exemple, un nouvel arrivant avait le malheur de sortir un peu la tête du rang pour regarder comment il devait s’y prendre pour recevoir sa ration, c’était encore un motif pour taper dedans. Généralement le surveillant prenait le fautif par les cheveux, lui cognait la tête contre le mur de la baraque, lui donnait des coups de pieds et le renvoyait sans lui donner à manger.

En raison du surpeuplement, les cuisines insuffisantes, n’arrivaient plus à faire la soupe, nous n’en avions plus qu’une par jour.

Il arrivait souvent que l’on ne donnait rien à manger aux internés pendant des jours et ils ne recevaient alors qu’une faible partie des rations qui leur étaient dues.

Les enfants étaient constamment tiraillés par la faim. Dès que la distribution était faire, ils n’avaient qu’un désir, manger. Or, il leur était interdit de manger pendant le rassemblement de l’appel. Si pour un adulte il est difficile de résister à la tentation de manger lorsque l’on tient un morceau de pain et que l’on a faim, c’est terrible pour un enfant. Une femme S.S. les surveillait et, tous les trois ou quatre jours, ces pauvres petits se faisaient prendre en train de manger. Immédiatement elles étaient sorties du rassemblement, leur nourriture leur était retirée pour la journée et elles étaient tout de suite punies de la façon suivante : elles étaient exposées en ligne, face au soleil, à genoux, une grosse pierre sur la tête, les bras levés avec dans chaque main un brique ou un pavé. Elles restaient dans cette position jusqu’à la fin de l’appel, parfois deux ou trois heures, jusqu’à épuisement.

Nous ne pouvions pas dormir parce que nous avions faim.

Affamées, nous nous jetions sur les épluchures qui traînaient dans la boue, sur des trognons abandonnés qui faisaient nos délices. Pour montrer à quel point nous étions affamées ; un jour on nous avait envoyées défricher un champ de colza, nous avons mangé du colza. Après notre départ, on aurait dit qu’une nuée de sauterelles s’était abattue sur le champ.

Les prisonnières mangeaient l’herbe au fur et à mesure qu’elle poussait.

Notre faiblesse était telle que lorsque nous fûmes enfin délivrés de cet enfer, un grand nombre d’entre nous mourut encore de faim et d’épuisement.

Les chirurgiens américains signalèrent que les corps des adultes ne pesaient que 60 à 80 livres (28 à 36 kilos). Ils avaient, dans la plupart des cas, perdu 50 à 60% de leur poids normal et avait également diminué de grandeur.

Dans tous les cas d’autopsie il a été constaté un état de dégénérescence du muscle cardiaque, dégénérescence jaune du parenchyme hépatique, une disparition des plis de la muqueuse gastrique intestinale.

L’intestin présentait l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette chez les détenus atteints de diarrhée chronique observée et connue au camp sous le nom de « Durchfall » Contrairement à ce qu’on observait dans les autres camps, la dysenterie bacillaire n’a pas fait ses preuves et la conclusion est que la diarrhée « Durchfall » du camp était due à la pauvreté de l’alimentation en protéines (matières albumineuses, œufs, viande, etc.).

Les effets de ce régime étaient scientifiquement contrôlés. A chaque arrivage on pesait es détenus pour établir le poids moyen de chaque lot de prisonniers. Périodiquement, on les repesait pour constater leur amaigrissement. Les poids moyens du camp, faisaient l’objet d’un compte rendu sur modèles imprimés envoyés périodiquement à l’autorité supérieure.

Les rations données aux prisonniers devaient les amener à la mort par amaigrissement et inanition.

Nous avons pu constater que l’un des camps, très proche du nôtre, était en effet un camp où l’on faisait mourir les gens de cette façon.

Les gens étaient constamment affamés ; on constatait l’épuisement en masse des détenus et la mortalité due à l’inanition. On mangeait la charogne, on dévorait les chats et les chiens. La plupart des internés n’étaient que des squelettes ambulants tendus de peau, ou bien ils étaient exagérément gros par suite de l’enflure et de la tuméfaction causée par la faim.

M.M., professeur au Collège de France, est mort littéralement de faim. Je l’ai vu, étant préposé à la corvée de lavage des gamelles, essayer de récupérer un peu de nourriture en grattant avec ses doigts le bord des gamelles.

Un Français qui habitait près de la place de la République, ayant servi dans la Légion étrangère, père de deux enfants, mutilé, ayant plusieurs blessures sur le corps, est mort de faim.

J’ai vu que les prisonniers de guerre russes, n’étant presque pas nourris, en étaient arrivés à un tel point d’inanition qu’ils enflaient et ne pouvaient même plus parler. Ils mourraient en masse.

Des cas de cannibalisme se sont produits.

La détresse des détenus était telle que certains dépeçaient les cadavres, faisaient cuire les morceaux et les mangeaient …. Je les ai vus de mes yeux. On voyait des cadavres avec un morceau de cuisse, le cœur, les testicules (c’était très recherché) qui manquaient.

HYGIENE

Pas de douches, très peu d’eau.

Comme nous nous couchions habillés nous devions, rapides comme l’éclaire, nous déshabiller pour nous laver car la porte s’ouvrait déjà et malheur à celui qui ne s présentait pas immédiatement complètement nu devant le robinet. Malheur également à celui qui, dans cette demi-minute, n’était pas retourné à sa cellule. Quand un interné n’avait reçu que trois coups de cravache dans ce laps de temps, il pouvait s’estimer heureux. Etant donné ce procédé, il était tout juste possible de se laver le visage.

L’eau était polluée, il n’y avait d’ailleurs qu’un seul robinet d’eau pour un total de 10 000 femmes. Pour réussir à avoir de l’eau, il fallait aller faire la queue dans la neige ou dans les flaques d’eau.

1 400 personnes devaient faire leur toilette dans une pièce contenir 60 personnes maximum et la toilette devait être faite dans le délai d’une heure, ce qui pratiquement était impossible ; la plupart des détenus ne faisaient donc pas leur toilette. Un surveillant placé à l’entrée de la porte activait les ablutions à coups de matraque.

A la baignade, auprès du bassin, se tenaient deux Allemands repris de justice, condamnés pour de multiples vols et assassinats qui tapaient sur tous ceux d’entre nous qui, à leur tour de rôle, devaient sauter dans le bassin. Certains de mes camarades passaient avec une telle précipitation qu’ils arrivaient à ne recevoir que quelques coups de bâton. Mais d’autres n’avaient pas encore eu le temps de s’approcher du bord que déjà leur cervelle giclait de la tête.

Nous étions en plein mois d’août et nous n’avions pas d’eau à boire. Nous recevons un peu d’eau pour faire la vaisselle mais nous la gardions pur la boire et, lorsque les femmes avaient absolument besoin de faire une toilette indispensable, on leur donnait un quart d’eau dont nous nous privions.

Pour l’hygiène de la femme, pas d’eau chaude, bien entendu, ni savon, ni serviette, que des chiffons, le plus souvent sales.

Un jour, les femmes allemandes qui nous fardaient ont découvert qu’il nous restait de l’eau dans l’après-midi et que nous avions conservé un peu de soupe pour les plus jeunes afin de leur donner le soir. Elles ont tout repris.

Les femmes s’aidaient pour transporter l’eau qui était au bout du camp. Le soir, en plein froid, elles transportaient l’eau dans des boîtes afin de se laver, mortes de fatigue par le travail, mal couchées dans ces salles sans lumière, sans feu, sur la paille comme des chiens.

La plupart des détenus allaient chercher de l’eau croupie aux cabinets, ils attrapaient la dysenterie qui tuait plus de monde que le typhus.

Les cabinets d’aisance étaient constitués par 12 caisses en bois placées à l’entrée des galeries, dont la capacité était absolument insuffisante aux besoins de 700 hommes ; les suintements et le trop plein de ces tinettes improvisées coulaient le long des galeries et jusque sur les planches où reposaient les prisonniers.

A Birkenau, les W.C. étaient composés de planches au-dessus d’une fosse.

Dans chaque feld il y avait deux W.C. en plein air.

De tristes choses se sont passés dans les W.C. : on y a vu des femmes avorter, envelopper les bébés dans des papiers et les jeter dans ces tranchées.

Aussitôt le déjeuner terminé, tout le personnel du block est rassemblé et conduit en colonnes au W.C. . Cette autorisation leur est donnée une fois par jour. Celles qui sont surprises à uriner autour du block sont punies de 10 à 25 coups de gourdins suivant leur constitution. Souvent nous avons vu de ces malheureuses frappées par la femme S.S., pour ce motif, si violemment que quelques heures après, la mort s’ensuivait.

Lorsque la nuit la dysenterie vous obligeait à sortir, c’était une expédition impossible que d’aller jusqu’au W.C. Le camp se trouvait naturellement couvert d’excréments et si on était surprise par une gardienne ou une monitrice alors qu’on n’avait pu atteindre les W.C., c’était des bastonnades sans nom.

Ces blocks étaient remplis de puces.

L’entassement nous obligeait à être 4 et 5 par paillasse et il était impossible dans ces conditions de se débarrasser de la vermine. Il y avait aussi l’impossibilité de faire sa toilette dans une pièce de quatre mètres sur trois mètres avec 12 robinets pour 500 hommes, une demi-heure nous étant impartie pour cette opération.

Pendant quatre mois je n’ai pas changé de linge,, celui-ci finissait par tomber en loque. Comme on tuait en moyenne 100 à 200 poux par jour, le linge passait par toutes les couleurs, rouge, brun, noir. Le liquide s’écrasait sur le linge lorsqu’on tuait les poux l’empesait et j’ai vu un détenu n’ayant pas eu le courage ni la possibilité de laver sa chemise pendant quelques semaines, la faire tenir debout lorsqu’il l’ôtait.

Ce manque total d’hygiène vous fait donc la proie de toute sorte de vermine. Vos nuits, déjà assez courtes, sont troublées par les piqûres des puces et des punaises ; les poux de tête sont les compagnons de tous les jours. Ils sont en si grande quantité que vous n’avez aucun moyen de vous en débarrasser.

Si une femme savait s’entretenir au point de vue poux, elle était obligée d’en reprendre par ses couvertures. C’est ainsi qu’un soir j’ai reçu à la nuit une couverture et au bout d’une heure j’étais couverte de plus de 1 000 poux.

Un jour on décida de nous désinfecter des poux. Toutes les femmes et tous les enfants furent mis nus, on imprégna sur toutes les parties velues du corps une pommade, après quoi tout le monde fut entassé dans un block à même le plancher. Pendant la nuit, les chiens furent lâchés et de nombreux enfants et femmes furent mordus. Ceux qui voulaient se mettre à l’abri de ces morsures devaient grimper sur les placards. Après deux jours et une nuit passés dans ces conditions, nous fûmes réintégrées dans nos blocks à la suite de l’appel qui nous obligea à rester toutes nues sous la neige pendant deux heures. Enfin rentrées, nous trouvâmes les housses de paillasses enlevées ainsi que les couvertures et avons couché sur de la paille pourrie (des copeaux) et les poux n’avaient jamais été en quantité si abondante.

Pour trouver quelques heures de sommeil il était indispensable de se déshabiller chaque soir entièrement malgré l’humidité et de s’épouiller aussi soigneusement que possible. Ceux dont les forces défaillantes ou la lassitude morale ne leur permettait plus ce nouvel effort, étaient bientôt couverts de plaies purulentes. Certains de mes compagnons ne s’étaient plus déshabillés depuis des mois.

Vous êtes donc atteinte de quelque temps de toutes sortes de maux : grosses plaies, gale, avec douleurs intolérables, etc.

Nombreuses étaient celles qui avait la gale, des plaques noires sur la peau, toujours sale. D’autres avaient de gros boutons.

Beaucoup souffraient de plaies aux pieds car elles avaient beaucoup marché et elles travaillaient toujours ; elles étaient pleines de vermine, mal coiffées, se grattaient sans cesse ; les Allemands ne les touchaient pas, ne les approchaient pas et se tenaient à cinq mètres au moins pour leur parler.

Les poux, les punaises et les puces étaient très nombreux, ils propageaient la fièvre typhoïde.



ADMINISTRATION – REGLEMENT – DISCIPLINE

Le chef de camp. La terreur du camp était un brutal « Obersturmführer S.S.

Le personnel de surveillance était fourni par les S.S. de la division « Tête de Mort ». Les cadres étaient allemands, tandis qu’une grande partie des hommes de troupe étaient des Polonais, Roumains, Hongrois et Croates. De plus il y avait des volontaires.

L’administration interne du camp est opérée par des prisonniers spécialement choisis. Les quartiers sont occupés, non pas selon la nationalité, mais plutôt selon la catégorie de travail. Chaque quartier est administré par une équipe de cinq, comprenant un doyen de quartier, un secrétaire de quartier, un infirmier et deux aides.

Le doyen de quartier porte un brassard qui indique le numéro de son quartier et il est responsable de l’ordre dans celui-ci. Il a pouvoir de vie et de mort. Avant février 1944, près de 50% des doyens de quartier étaient des Juifs, mais un ordre de Berlin fit cesser cet état de choses. Tous durent résigner leurs fonctions à l’exception de trois Juifs, capables, en dépit de cet ordre, de garder leur poste.

Le secrétaire de quartier est la main droite du doyen de quartier. Il fait tout le travail du bureau et s’occupe des fiches et des registres. Son travail comporte une grosse responsabilité et il doit garder ses livres avec une exactitude scrupuleuse.

Chefs de blocks et kapos. Nous sommes encadrés par des condamnés de droit commun allemands qui sont dans les camps ou prisons pour leurs crimes ou vols depuis 8, 10, 12 ans ….. et qui font régner sur nous un régime de terreur, encouragés par les nazis.

Les chefs de blocks se sont montrés des auxiliaires précieux pour les boches en aidant ceux-ci dans leur travail d’extermination. Eux aussi avaient le droit de vie et de mort sur leurs camarades de block.

De plus on y entretenait 200 chiens loups allemands qui constituaient un élément d’importance dans la garde du camp, et puis une police auxiliaire dit la Kampfpolizei, recrutée par les criminels de droit commun.

Les détenus étaient divisés en kommandos de travail. A la tête de chaque kommando ill y avait un kapo, détenu allemand. L’insigne de ses fonctions étaient le bâton.

Les criminels professionnels étaient tous kapos.

Ces postes étaient obtenus par un certain nombre de relations d’où découlaient des prérogatives. « Ces stubendenst » nous ont fait autant souffrir que les S.S. Il y en avait de toutes les nationalités : des Russes, des Ukrainiens, des Polonais. Alors que les soldats de l’armée rouge qui se trouvaient dans le camp avaient une mentalité remarquable, tous les stubendienst étrangers étaient choisis parmi la racaille et les voleurs.

Les 2/3 des chefs de blocks, des kapos, des vorarbeiters (contremaîtres), étaient des assassins, des escrocs, des faussaires allemands, qui avaient pratiquement sur nous droit de vie ou de mort, et ne se privaient pas de l’exercer, assurés de l’impunité.

Aucune possibilité de révolte contre le kapo car à la moindre tentative c’était l’exécution qui était non seulement tolérée mais approuvée par les S.S. C’est ainsi qu’un jeune Russe, qui s’était révolté, a été battu à coups de cravache jusqu’à la mort. Interrogé sur ce fait par les S.S., le kapo a été vivement félicité pour son action énergique du maintien de la discipline.

Les femmes vivaient dans les mêmes conditions que les hommes, à cette différence près qu’elles étaient gardées par des femmes S.S.

Nous étions dirigées par une commandante et un commandant assistés de nombreux soldats que nous appelions des offizierinnen. Nous n’étions guère en contact avec le commandant.

Les offizierinnen : la plupart étaient elles-mêmes condamnées au bagne. Celle qui commandait dans notre block était condamnée aux travaux forcés à perpétuité. Elle avait tué son père et sa mère.

En Allemagne, les jeunes filles de 18 ans étaient mobilisées et suivaient des cours pour savoir bien gifler et faire le travail des camps de concentration. Après, elles étaient envoyées dans les différents camps.

Chez nous, de nombreuses jeunes surveillantes étaient en camp-école. Elles apprenaient les traitements à faire subir aux prisonnières. Ces élèves surveillantes étaient généralement allemandes ; il y avait aussi de nombreuses femmes de pays annexés : Roumanie, Hollande, Grèce, Tchécoslovaquie. Ces femmes étaient requises.

A un moment donné, les autorités allemandes manquaient de femmes S.S. On les recrutait alors d’office dans les usine sans même qu’elles aient le temps de prévenir leur famille. Elles étaient ramenées au camp où elles étaient enfermées par groupe de 50. Un jour, elles étaient mise à l’essai, on faisait venir devant elles une internée au hasard et l’on demandait à ces 50 nouvelles S.S. de la frapper. Je me souviens que sur plusieurs contingents de femmes S.S., 3 seulement ont demandé pourquoi, et l’une seulement s’est refusé à le faire, ce qui lui a valu d’ailleurs d’être elle-même emprisonnée. Toutes les autres se sont vite faites à ce métier, comme si elles l’avaient toujours exercé.

Chaque block de 3 à 400 déportées était commandé par une blockowa ou stupowa.

Elles aussi avaient droit de vie ou de mort sur leurs camarades de block. J’ai vu et entendu moi-même une blockowa dire à une pauvre fille qui avait réussi à se procurer une belle paire de bottes : « Donne-moi tes bottes u sinon je te fais envoyer au crématoire à la prochaine sélection » ; ce qu’elle n’aurait pas hésité à faire en cas de refus.

Telle était, en général, la mentalité de ces chefs de blocks ou des blockowa. Ils ou elles ne manquaient de rien : bijoux,, fourrures, vêtements, argent, nourriture. Comme beaucoup d’internés recherchaient leur protection, ils se débrouillaient ou, plutôt, pour employer l’expression allemande, ils « s’organisaient » pour se procurer ce qui était envié ou demandé par leurs chefs de bloks ou blockowa.

Cet abaissement de l’homme, cette promiscuité qui le dégrade, quand elle ne tue pas, cette mêlée où le criminel et le patriote sont volontairement confondus, ont été sciemment voulus et organisés par les nazis.

Hitler, dans Mein Kampf, avait exposé sa trouvaille de troubler les rapports des victimes entre elles, de créer la haine et le dégoût, de favoriser la délation, bref, de rabaisser l’homme. Ceux qui transmettaient ces consignes raffinèrent encore sur l’invention, ils confièrent l’autorité à des prisonniers de droit commun, forçats devenus geôliers.

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                                                                        *    *
Aucun règlement n’était affiché ou fait savoir aux prisonniers par un autre moyen.

Aucun règlement n’existait. Rien n’était défendu, sans doute parce que tout l’était. Un geste permis un jour, valait le lendemain d’être soumis des heures durant aux brutalités des S.S.

C’est la loi de la jungle, la justice est sommaire.

En mai 1941, l’assassinat du Juif H…  par un S.S. Obserschafürer, amena l’exécution de tous les témoins du crime, au nombre de 30, parce que le frère de H… présent à l’assassinat, s’était plaint de l’arbitraire de cet acte, en indiquant les nomes de ceux qui y avaient assisté.

Etant donné que les fiches indiquent seulement le nombre et non pas le nom des prisonniers, les erreurs sont fatales. Par exemple, si le secrétaire indique par erreur un décès, ce qui est souvent le cas, étant donné la mortalité exceptionnellement élevée, la faute est tout simplement réparée par l’exécution du porteur du numéro correspondant. Les corrections ne sont pas admises. Le secrétaire du quartier occupe un poste de choix qui permet de nombreux abus.

Les règlements de compte se faisaient sans l’intervention des S.S.

Un détenu vert pouvait tuer un rouge. Un homme est trouvé mort, un jour, noyé dans un bassin, assommé sur le pavé, broyé contre une machine, on l’enlève pour le crématoire : nulle enquête, nul commentaire. La vie continue.

Inutile de se  plaindre, jamais les S.S. n’intervenaient.

La seule explication que les S.S. donnaient aux détenus étaient celle qu’aucun captif ne devait jamais sortir vivant de ces lieux.
                                                                                                                           
Les S.S. qui régnaient sur le camp étaient soutenus avant tout par leur assurance que tous les prisonniers arrivés dans ce camp, qu’ils soient prisonniers de guerre ou détenus russes, ukrainiens, polonais, biélorrussiens, juifs, français ou grecs, etc. seraient tôt ou tard, exterminés et ne pourraient raconter ce qui s’y passait. C’est surtout cette assurance qui réglait la conduite des gardiens et les méthodes d’extermination employées au camp. Les morts sont muets et ne peuvent rien raconter. Ils ne peuvent faire connaître les détails, ni confirmer ces détails par des documents. Par conséquent, personne ne détiendrait jamais des preuves, et là était l’essentiel, selon les Allemands.


DISTINCTION ENTRE PRISONNIERS

Les internés du camp étaient de toutes les conditions sociales et étaient divisés en plusieurs catégories :

-       Les criminels proprement dits,
-       Les détenus politiques,
-       Les homosexuels,
-       Les personnes qui, soi-disant, refusent de travailler,
-       Les militaires de tous les grades qui avaient commis une faute grave contre la discipline, en particulier le refus d’obéissance.

Cette dernière catégorie est appelée à la S.A.W. « Sonder-abteilung-Wehrmacht ».

Chaque détenu portait son numéro d’inscription sur le côté gauche de la poitrine et sur la cuisse droite. Directement au-dessous du numéro, se trouvait un triangle en étoffe colorée. Dans le triangle était indiquée la nationalité du détenu : F pour les Français, P pour les Polonais, R ou SU pour les Russes. Les détenus allemands ne portaient aucune indication de nationalité.

Voici la signification des triangles de couleur :

-       Triangle rouge : prisonniers politiques en protection surveillée,
-       Triangle vert : criminels de profession,
-       Triangle noir : réfractaires,
-       Triangle rose : homosexuels,
-       Triangle violet : membres de la secte religieuse de « Bibel Forscher »
-       Triangle marron : tziganes


Les prisonniers juifs diffèrent des prisonniers aryens par le fait que le triangle (rouge dans la plupart des cas) est changé par une étoile de David par l’adjonction de pointes jaunes.

NN (Nacht und Nebel), c’est-à—dire condamnés à mort. Ce nom de Nacht und Nebel avait été emprunté à une organisation secrète de la résistance hollandaise.

Au camp, personne ne sait exactement ce qu’est un NN, sauf qu’en principe ils ne peuvent pas partir avec les convois travailler avec les groupes qui sortent du camp.

Il y avait parmi les déportés, celles appartenant à la catégorie NN. On cite parmi elles Marie-Claude Vaillant-Couturier et Geneviève de Gaulle qui furent soumises à un dur régime.

Tous les prisonniers sont traités de la même façon, quelle que soit leur catégorie ou leur nationalité.

Devenus mi-clochards, mi-forçats, toutes les distinctions étaient effacées.

Quant à l’expression « internées politiques », c’est la plaisanterie la plus grosse et le plus amère qui ait jamais été. Quand je suis venue ici prisonnière politique, dans un convoi composé uniquement de prisonnières politiques, on nous a vêtues de robes de prisonnière à raies et nous avons dû nous rendre compte que c’était purement et simplement les travaux forcés, auxquels étaient ajoutées les joies des punitions corporelles – comme 25 coups de fouets, etc.- ou alors le Buncker, le cachot noir et rien à manger.


                                                                   *
                                                                        *    *

Décrire en détail notre vie pourrait semblait monotone.

Partout, dans les lieux que nous devions traverser, se trouvaient les dénommés kapos (criminels récidivistes allemands armés de massues).

Les claques et les coups étaient les événements journaliers que personne ne considérait plus comme quelque chose d’extraordinaire.

Les coups de pied et de matraque pleuvaient, même si on était malade.

Le traitement était le même pour tous, aussi bien Français qu’Allemands ou d’autres nationalités.

Les commandements se faisaient exclusivement en langue allemande. Ceux qui, parmi nous, ne comprenaient pas l’allemand et ne pouvaient, à cause de cela, exécuter rapidement les ordres, recevaient des coups de pied, des gifles, etc.

En 4 mois, je reçus, dans une période de 10 à 14 jours, un total de 175 coups de bâtons sur le derrière. Dans cette même période, je fus pendu par les poignets, chaque jour, 25 minutes durant.

On voyait fréquemment une trentaine de détenus battus par les S.S. à coups de tube de caoutchouc, et qui recevaient sur tout le corps 50 à 70 coups.

On m’a battu le premier jour parce que j’avais demandé un peu d’eau.

N’ayant pas bien fait mon lit, le premier soir, je fus obligé de danser toute la nuit ; dès que je m’arrêtais, je recevais des coups.

Un S.S. frappait, soit avec une matraque, soit avec sa pelle ou tout ce qui lui tombait sous la main, les internés qui se trouvaient à côté de lui et ce sans le moindre motif. Lorsque les rangs étaient formés, il s’amusait à donner des coups de pied et de poing aux malheureux qui étaient près de lui, comme un forcené. Cet individu a été nommé « le matraqueur » parce qu’il avait toujours sur lui une matraque avec laquelle il frappait sauvagement les internés.

Un autre S.S. éprouvait une jouissance particulière à chasser les internés de leur cellule, à leur faire exécuter des génuflexions jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus se relever, puis il piétinait leurs têtes de ses talons ferrés jusqu’à ce que le sang jaillisse du nez et des oreilles.

Un block-führer était nettement fou. Il hurlait et se mettait à cogner sans aucune raison. Il faisait mettre les détenus au garde-à-vous devant lui et leur donnait des coups de pied dans le ventre.

Il faisait coucher les hommes dans la boue, se relever, puis s’étendre à nouveau. Il en profitait alors pour distribuer coups de trique, coups de pied dans les reins, les parties génitales, le ventre, etc.

L’âge même ne comptait plus sinon comme un signe de faiblesse qui invitait aux coups. Parce qu’il avait osé s’asseoir sur la paillasse, le général B. de F., âgé de 80 ans, fut battu par son chef de block jusqu’à l’évanouissement.

Lorsque le Lagerführer constatait un manquement quelconque à la discipline du camp, il nous imposait des séances de brimades baptisées « sport » pendant une demi-heure et parfois une heure ; nous devions courir autour du camp, ramper, marcher à croupetons et nous étions frappés pendant ce temps à coups de bâtons par les Allemands verts et rouges.

J’ai vu certains hommes mourir de ces séances de « sport » ; j’ai vu également beaucoup de camarades mourir sous les coups. Au cours de l’année 1943, ce « sport » avait lieu environ tous les deux jours.

Il y a eu, pendant notre présence à Auschwitz, 40 à 45 Français d’abattus pour être sortis des blocks en dehors des heures permises.





MŒURS

Il nous était défendu de choisir notre place, laquelle nous était imposée. Nous étions ainsi mélangées avec les détenues de droit commun, qui étaient toutes grossières et brutales.

Là, on partageait le contact le plus affreux, la promiscuité la plus dangereuse.

De plus, nos Offizierinnen avaient des meurs spéciales et ne se gênaient en aucune façon pour s’ébattre sur les châlits voisins avec des gitanes qui bénéficiaient, de ce fait, d’un régime de faveur.

Les femmes et les jeunes filles, lorsqu’elles étaient belles et saines, étaient mises dans une baraque spéciale où les S.S. les violaient jusqu’à ce qu’elles fussent demi-mortes. De là, on les dirigeait vers le crématoire.

Il existait une maison publique réservée aux détenus qui avaient trois mois de présence dans le camp. Le médecin devait donner un bon permettant l’accès. Cet établissement n’était ouvert que le soir après l’appel. Un S.S. en gardait l’entrée. Le matin, les pensionnaires faisaient l’exercice militaire en chantant, en short. Le soir, quelques femmes choisies montaient dans les casernes des S.S.

Le prix d’entrée était de 2 marks sur lesquels la femme recevait 50 pfg, et le reste (1,50m.) était versé à des organisations ayant des buts de guerre.

Un certain nombre de Juifs étaient gardés au camp à la disposition des kapos : ils était utilisés par des kapos homosexuels allemands pour assouvir leur passion et étaient protégés par eux.

On vit une mère et sa fille enfermées et celle-ci obligé de retrousser les robes de son enfant que l’on faisait violer par un chien.

Et enfin pour terminer : il y avait des chiens qui étaient vicieux. On choisissait principalement des jeunes filles ; elles étaient accompagnées par des S.S. qui les emmenaient travaillé à faire des corvées de pierre. Après épuisement du travail qui durait douze heures sans arrêt, ces jeunes filles tombaient de fatigue pour la plupart. C’est alors que les gros chiens se jetaient sur elles en essayant de les violer. Ils étaient dressés pour cela, je l’ai vu de mes propres yeux.  Ces jeunes filles étaient décapitées parce qu’elles résistaient, et les S.S. rapportaient au camp, en nous les montrant, les morceaux des femmes décapitées, accrochés au fusil ; ils jouaient avec en nous disant que c’était ce qui nous attendait.


RELIGION

Pour les croyants de toutes confessions religieuses, aucun secours spirituel ou moral ne nous a été accordé.

L’assistance d’un prêtre nous ferait beaucoup de bien, mais ici, interdiction formelle, sous peine de mort, aux prêtres, d’exercer leur ministère.

Dans tous les camps de concentration, tout culte religieux était interdit sous peine de mort.

Le grand principe état de supprimer tout ce qui, de loin ou de près, touchait à la pensée de Dieu ; c’est ainsi que, sous le prétexte de désinfection, on prenait les chapelets qu’on jetait aux ordures, de même que les images saintes et les médailles qui, pourtant, bien souvent étaient des souvenirs. Les bréviaires, missels et livres de piété servaient de papier hygiénique.

Je voulais conserver une petite image sainte mais l’un des prisonniers m’en dissuada. Cela ne vaut pas à peine, on se moquera de vous et finalement on vous la retirera.

Je fus assailli par un groupe de S.S. qui m’arrachèrent ma soutane, brisèrent mon chapelet, piétinèrent mon bréviaire en ricanant.

Des religieuses faisaient partie de notre convoi ; les Allemands jetèrent leurs habits dans la boue en ricanant.

Les robes et les vêtements sacerdotaux étaient transformés en costume pour les femmes de la maison publique.

Comme j’étais prêtre et Anglais, j’avais une corvée supplémentaire à faire. Cette corvée spéciale consistait à vider un trou plein d’eau à l’aide d’un seau. Je n’arrivais d’ailleurs jamais à vider ce trou car il se remplissait au fur et à mesure. J’ai passé de mauvais moments. Les coups et les corvées les plus dures, les terrassements, m’ont été réservées.

Pour la recherche des pratiques religieuses, les S.S., à Auschwitz, s’adressaient aux kapos ou blockalteste.

Le professeur d’Université de langues orientales (hébreux, arménien et arabe), A. St-M., fut tué par un stugendienst qui l’avait entendu prier.

Il arriva à Auschwitz des prêtres qui ne reçurent pas de numéro-matricule. On les faisait passer par la désinfection et on les affectait à la quarantaine, mais le lendemain ils étaient envoyés en robe travailler à la gare sous le commandement de l’Oberkapo et ce kapo les tuait avant le soir.

En 1944, l’été, j’ai autopsié le premier patriarche du synode orthodoxe de Paris, dont j’ai oublié le nom ; Staline l’avait, par l’intermédiaire de la Croix-Rouge Internationale, fait rappeler pour réorganiser l’église orthodoxe. Selon son appartenance et les lois internationales, ce patriarche avait, de même que les cardinaux catholiques, le droit de se déplacer librement et n’aurait jamais dû être interné. Lorsque les Allemands connurent la demande de Staline, ils l’internèrent et l’envoyèrent à  Buchenwald où il devint malade de l’estomac. Il avait auparavant déjà été opéré deux fois. Il demanda au médecin une troisième opération qui fut refusée, puis accordée. C’est à la suite de cette opération (quelques jours après) qu’il mourut.

Un curé fut martyrisé parmi nous. On l’obligeait à se mettre à genoux, une brique dans chaque main, et à dire que Jésus-Christ n’existait pas et que le seul Seigneur était Hitler. Jamais il ne voulait le dire ; il fut frappé des jours et des jours à coups de matraque, de bottes, de crosses de révolver et mourut ainsi martyrisé.

SCENE DE TOUS LES JOURS

Il faisait froid. Le S.S. nous a fait venir dans sa baraque (un camarade et moi). Il nous a demandé sir nous avions froid. Nous lui avons répondu affirmativement. Il nous a assuré alors qu’il allait nous réchauffer et il a cogné nos têtes l’une contre l’autre. Il nous a demandé ensuite si nous avions encore froid. Nous lui avons répondu négativement, alors il nous a flanqué à la porte à coups de pied dans le derrière.

Lorsqu’un S.S avait compté le nombre des prisonniers de la cellule, il criait : « Raus waschen ! ». Personne ne savait où aller puisque l’on ne nous avait pas dit où étaient les lavabos. Les premiers sortaient devant la baraque, mais là étaient postés deux S.S. qui nous recevaient à coups de crosse. Il y eut un sérieux cafouillage, les premiers sortis retournaient, tandis que les derniers étaient encore sur leur lancée. (J’ai oublié de dire que tout se faisait au pas de course). Vu que nous ne savions pas où aller, tout le monde se ruait de nouveau dans notre cellule. A peine étions-nous rentrés que d’autres S.S. sortaient tout le monde à coups de pied et de crosse. Notre surveillant Z…. se postait alors au milieu du couloir et tapait avec un bâton de bois sur le torse nu de chaque passant. Par bonheur, nous avons trouvé le lavabo. A peine avions-nous commencé de nous débarbouiller un peu que déjà on nous commandait de sortir. Z… était toujours posté dans le couloir avec son bâton et avec un rire diabolique essayait de taper sur chaque passant. Je me rappelle très bien qu’un Belge, M. L……, âgé de 58 ans et très affaibli par deux ans de prison, avait reçu un coup très violent dont la raie rouge et bleue se voyait encore après plusieurs jours.

Lors de mon arrivée, on était en train de construire des cellules individuelles en brique. Les prisonniers devaient chercher des briques dans la cour d’une usine (Hobus), située environ à 1 kilomètre du camp. Chacun devait porter six briques, ce qui était assez lourd, vu la distance et la faiblesse de la plupart des prisonniers. Arrivés au camp nous devions poser les briques au bout d’une baraque. En faisant le tour de la baraque (mi-chemin avec briques), nous devions courir. Deux gardiens armés d’une latte étaient postés sur le chemin donnant un coup sur chaque passant. Après avoir déposé les briques, nous devions nous remettre en colonne par trois entre les deux baraques. Le malheur voulait que les prisonniers de la baraque n°1 se trouvaient près de la baraque n°2 et vice versa. Lorsque tout le monde était rassemblé, quelqu’un donnait l’ordre de rentrer. Il y avait alors un cafouillage indescriptible. Ceux qui étaient à droite devant rentrer vers la gauche, et ceux de gauche vers la droite. Il y en a qui tombaient par terre, les autres marchaient par-dessus et, comme d’habitude, les gardiens avec les crosses de fusil, avec des bâtons et des lattes, ou alors leurs bottes, tapaient dedans. J’ai pu enfin me dégager : lorsque j’entrais dans le couloir de notre baraque qui n’était pas éclairée, je voyais un nouveau tas d’hommes par terre. Z…… et un autre gardien y avaient déposé deux tabourets, de sorte que les premiers arrivants culbutèrent par-dessus, les suivants tombant sur les premiers. Comme de coutume, Z….. et l’autre gardien s’amusèrent à taper dedans avec un morceau de latte.  Un jeune Polonais de notre cellule arriva le mollet de la jambe gauche à moitié arraché.

On nous fit rentrer dans le couloir des baraques, en colonne par un. Dans chaque couloir il y avait environ 10 gardiens répartis tout le long. On ordonne trois tours en sautillements, mains à la nuque et sur la pointe des pieds. Le couloir avait une longueur de 50 mètres.

Il y avait parmi nous des vieillards (âgés de plus de 60 ans), des infirmes, des hommes amaigris et affaiblis par deux ans de prison et plus. Tout le monde dut sautiller, aucune excuse n’étai admise. A peine le sautillement avait commencé que déjà plusieurs ne pouvaient plus le faire correctement. C’est alors que les gardiens se ruèrent sur les malheureux, les frappant avec  des bâtons, des fils électriques enroulés autour de la main, des crosses de fusils, etc. J’ai vu des scènes inimaginables de brutalité. Le jeune Polonais cité plus haut montra sa jambe blessée à l’S.S. Hauptsturmführer K…. Celui-ci le prit à part dans les W.C. Lorsque j’y passais une fois, j’ai vu le jeune Polonais accroupi dans un coin, K…., devant lui, le frappait avec une extrême brutalité à coups de poing et de pied.

Quelques instants après, arriva à nouveau Z…. qui nous fit faire dix tours « de coucher sur les lits et ressortir ». Après quoi, il prit le Français M…..à part et lui fit faire vingt fois « à terre et se relever ». Motif : M…. était moine bénédictin.

Je rentrais avec un S.S., B…., dans une cellule où se trouvait un jeune homme qui était simple d’esprit. Lorsque B… entra dans la cellule, ce jeune homme ne bougea pas de place, B…. entra dans une forte colère, prit le jeune homme par les habits, le plaqua contre les battants du lit et le malmena à coups de pied.

Lors d’une arrivée de nouveaux prisonniers, il y avait parmi eux un jeune Français qui, blessé au cours d’un bombardement, avait perdu la raison. Il voulait faire comprendre qu’il avait été enfermé par erreur et qu’il voulait parler à quelqu’un pour expliquer son cas. B… lui donna tout de suite quelques gifles. Le jeune homme voulait se protéger contre les coups en tenant son bras devant le visage. C’est alors que B…. lui donna coups de poing sur coups de poing, jusqu’à ce que l’autre saigne du nez et de la bouche, de sorte que le sang se répandait sur le plancher. B…..tapait si fort que pendant tout le temps que je restais là (9 semaines), il avait les mains, soit fortement enflées, soit couvertes de pansements.

Lorsque tel autre S.S. passait dans les rues du camp, chaque interné investissait son voisin et tout le monde courait se cacher. C’était un anormal qui tuait les gens suivant son bon plaisir. Ceux qui souffraient le plus de lui étaient les Juifs pour lesquels il avait une haine particulière. Aussitôt qu’il savait qu’il y en avait un grand nombre dans certains endroits, par exemple s’il recevait la liste d’un nouveau Kommando, il s’y dirigeait et en tuait des quantités. De plus, c’était un obsédé sexuel qui assouvissait sa passion sur des jeunes Juives qu’il exécutait aussitôt.

Le S.S. sauta sur moi en hurlant et me frappa de plusieurs coups à la figure, mais je restais immobile devant lui.

-       Honte à vous de battre des hommes sans défense. Il n’y a pas d’héroïsme en face d’un homme sans arme.

H… devint de plus en plus furieux et hurla : -« Moi je suis un Allemand et toi, tu n’es qu’un sale Juif ; tu oses me dire que je dois avoir honte devant toi ».

Plus il hurlait, plus j’élevais la voix. Il vit une planche devant lui, la prit, la jeta sur moi et s’en servit pour me frapper à la tête. Je tombais par terre, ma tête ruisselante de sang.

-       « Honte, honte à vous tous, plus tu me bats, plus grande sera ta honte ».

Je sentais que ma fin approchait, il frappait toujours, rien ne pouvait me sauver. Soudain la planche lui glissa des mains. Il se jeta sur moi continuant à me frapper la tête de ses poings.

Rentré au camp avec beaucoup de peine, je me suis rendu tout de suite au bureau du gauleiter B….., afin de porter plainte contre H…. B… était un de ces rares officiers de Todt qui n’était pas méchant. Me plaignant, il avoua qu’il était impossible d’accepter la plainte et de faire un reproche officiel à H…., car ce dernier avait plus d’influence que lui-même, étant donné son rôle important dans le Parti national-socialiste, tandis que lui, Gauleiter, n’est pas membre du Parti. Alors je fus obligé de me retirer.

Un quart d’heure plus tard, le Lagerführer U…. vint me chercher personnellement et me conduisit dans sa chambre. Je savais d’avance ce qui allait se passer dans quelques instants. Le commandant des gardiens entra également dans la chambre.

U…. commença immédiatement : - « Alors tu as eu l’audace de te plaindre de H…. ? Avant tout, sache qu’une plainte doit être faite exclusivement à moi. Ensuite, tu dois savoir que je ne donne aucune suite à la plainte d’un Juif. Les Juifs ont tellement fait de mal qu’on devrait tous les pendre sans explication. Chaque bout de pain que l’on vous donne, c’est trop, c’est un vol au peuple allemand. Tiens, voilà ma réponse. » Il se jeta sur moi et commença à me frapper à la figure jusqu’à ce que je sois à terre.

Avec beaucoup de peine, je me levais, mais ce fut au tour du commandant des gardiens de s’acharner contre moi. Il m’abattit furieusement de nouveau à coups de poing sur la tête, tout en hurlant : - «  Voilà, salaud, espèce de Juif, sale merde, tu n’offenseras plus un Allemand, tu te souviendras de la journée d’aujourd’hui ».

Pour bien nous initier à la discipline du camp, on nous a réunis le lendemain sur la place (anciens et nouveaux, nous étions une quinzaine de mille) où, en musique, on a pendu deux détenus.

Lorsque certain chef nazi voyait un détenu dans la rue, il tirait dessus pour faire un carton. On ne pouvait rien contre lui, car il était Rapportführer et il justifiait ses actes en prétendant que le détenu s’était enfui, avait résisté, qu’il s’était trouvé en état de légitime défense. Il a tué ainsi des milliers de détenus.

Un détenu allemand vert remplissait ses fonctions de Vorarbeiter dans la mine ; il avait réussi à nouer des relations avec une Allemande dans la mine également. Il écrivait à cette femme et celle-ci lui répondait. Un jour, une lettre est tombée entre les mains de S… Le soir, à l’appel, il fit sortir le Vorarbeiter des rangs et lui dit : -« Ah ! Tu es plein, je vais te faire vider. » Il le fit mettre tout nu, le fit courir autour de la place d’appel en le faisant se masturber sous la menace du revolver, tous les 50 mètres.

Il est arrivé un convoi de Fresnes comprenant des Juifs et des Anglais. Lorsque ce convoi est arrivé, les S.S. ont obligé les Juifs à traverser la piscine qui avait 1m60 de profondeur, complètement habillés. Pour les faire sécher, on leur fit vider les water-closets avec une brouette et une cuillère.

On nous dit à ce moment que si nous manifestions notre réprobation, d’une façon ou d’une autre, les mitrailleurs tireraient immédiatement sur nous.

Pendant ce temps, le chef de camp nous faisait un discours moralisateur, en nous disant que si nous étions dans notre situation actuelle, la faute incombait aux Juifs.

Nous pouvions voir les prisonniers obligés de courir autour d’un bassin en faisant la marche du crapaud, les pieds et les mains liés. Les S.S. battaient les hommes lorsqu’ils n’en pouvaient plus, et lorsqu’ils ne se relevaient pas assez vite.

Le matin, on faisait à peu près quatre heures de cet exercice jusqu’à ce qu’on n’en puisse plus.

Je ne pus l’exécuter, sur quoi je fus battu par un gardien du même âge que moi, c’est-à-dire 63 ans.

Le lendemain je dus faire la marche du crapaud pendant une demi-heure, ensuite le S.S. m’obligea à sauter sur le lit, à passer en-dessous, à sauter sur la table, passer en dessous, passer sous les chaises, monter sur l’armoire ; il fit semblant de me descendre à coups de revolver, m’obligea à faire comme si je prêchais, descendre, puis remonter sur l’armoire, enfin chanter des chants religieux pendant deux heures.

Lorsque je ne pus plus exécuter mes exercices de gymnastique, je reçus des coups de pied et de poing.

Un matin, deux soldats obligèrent deux prisonniers français, malades à la suite des coups qu’ils recevaient journellement, à manger leur excrément, répandu dans leurs vêtements. Ils obligèrent ces deux hommes à passer de long en large dans le réfectoire en disant à leurs camarades prisonniers que « c’était bon ».

Un S.S. ayant ordonné à son chien de mordre un déporté et le chien s’y étant refusé, il le battit à tel point que le chien vomit tout son repas. Ordre fut ensuite donné à l’Israélite de manger les déjections du chien.

J’ai vu à Mauthausen un jeune Espagnol de 16 ans, qui vint vers moi parce qu’il avait peur ; je lui dis de rester. Un Oberführer rentrant dans la chambre, s’approcha de moi et me commanda un travail que je refusais d’exécuter. Il s’apprêtait à me frapper. Le jeune Espagnol, qui était couché sur le châlit, a cru qu’on m’interrogeait pour me demander où il était ; il s’est sauvé et s’est dirigé vers les barbelés électrifiés. Sous le commandement de l’Oberführer, 8 chiens l’ont dévoré vivant sous mes yeux.

Un des S.S., un garçon de 19 ans qui faisait partie des gardes-chiourmes, surveillait les détenus occupés à la construction du four crématoire perfectionné ; il s’approcha d’un des plus solides et des plus beaux travailleurs, lui ordonna de courber la tête et lui asséna de toutes ses forces un coup de matraque sur la nuque. Lorsque celui-ci s’écroula, le S.S. ordonna à deux détenus de le saisir par les jambes de le traîner face contre terre pour lui faire reprendre connaissance. Après qu’ils l’eurent traîné cent mètres sur le sol gelé, il n’avait pas repris ses sens et gisait immobile. Alors le S.S. s’empara d’un tuyau de ciment destiné à la canalisation, le souleva et le laissa retomber sur le dos de la victime couchée à terre.  Il recommença à cinq reprises. Au cinquième coup, le S.S. ordonna de le retourner face au ciel et lui souleva les paupières avec une baguette. S’étant assuré qu’il était mort, le S.S. cracha, alluma une cigarette et s’éloigna comme si de rien n’était.

Fréquemment, les S.S. envahissent nos baraques au milieu de la nuit, et nous font sortir tout nus, quel que soit le temps, ramper, courir, etc. ; ceux qui ne s’exécutaient pas assez rapidement ou donnaient des signes de défaillance étaient cravachés jusqu’à la mort.

A peine au seuil des baraques, ils tapent sur les têtes de tous ceux qui passent devant eux en courant et en se bousculant. Pour activer la rentrée, ils lâchaient les chiens qui se précipitaient sur nous et nous mordaient. On nous faisait entrer, puis sortir plusieurs fois de suite pour dresser les chiens.

On emmenait un interné devant une essoreuse luisante de blancheur et on l’obligeait à glisser le bout des doigts entre les deux gros rouleaux de caoutchouc destinés à tordre le linge. Puis l’un des S.S. ou un détenu sur leur ordre, tournait la manivelle de l’essoreuse. Le bras de la victime était happé jusqu’au coude ou l’épaule par la machine. Les cris du supplicié était le principal divertissement des S.S. L’homme, qui avait le bras écrasé, entrant de ce fait dans la catégorie de ceux qui ne pouvaient travailler, était condamné à mort.

Un de leurs « amusements spirituels » était le suivant : un S.S. prenait à partie quelque détenu, lui signifiait qu’il avait enfreint quelque règlement du camp et méritait d’être fusillé. Le détenu était poussé au mur et le S.S. luis posait son parabellum au front. Attendant le coup de feu, la victime, 99 fois sur 100, fermait les yeux. Alors le S.S. tirait en l’air, tandis qu’un autre, s’approchant à pas de loup, lui assénait un grand coup d’une grosse planche sur le crâne. Le prisonnier s’écroulait sans connaissance. Quand, au bout de quelques minutes, il revenait à lui et ouvrait les yeux, les S.S. qui se tenaient là lui disaient en s’esclaffant : « Tu vois, t’es dans l’autre monde. Tu vois, dans l’autre monde il y a aussi des Allemands, pas moyen de les éviter ». Comme le prisonnier était ordinairement ensanglanté, qu’il n’avait pas la force de se relever, il était considéré comme condamné à mort et, après s’être bien amusés, les S.S. le fusillaient.

Autre « amusement » : un détenu était déshabillé et jeté dans le bassin. Il tentait de remonter à la surface et de sortir de l’eau.

Les S.S. qui se pressaient autour du bassin, le repoussaient à coups de bottes. S’il parvenait à éviter les coups, il obtenait le droit de sortir de l’eau, mais à une seule condition : il devait s’habiller complètement en trois secondes. Les S.S. surveillaient montre en main. Personne, naturellement ne pouvait s’habiller en trois secondes. Alors, la victime était de nouveau jetée à l’eau et martyrisée jusqu’à ce qu’elle se noie.

Le 2 décembre 1941, le matin à 9 heures, les détenus sont rassemblés. On porte à leur connaissance qu’un paquet de tabac a été volé à l’un des gardiens et que le délinquant devait se rendre sur-le-champ. Tous les détenus déclarent ne pas être en possession de tabac et c’est alors que les brutes S.S. commencent leur jeu macabre. Ordre est donné à tous de se déshabiller. Il fait une température de 8° sous zéro. Personne ne fait d’objection, sachant que ce serait un suicide, et c’est alors qu’on put voir près de 500 êtres humains, tous nus, attendre la suite des évènements. A midi, les premiers tombaient, les uns morts de congestion, les autres perdants connaissances. Ces derniers étaient ranimés à coups de cravache, mais aucun de ceux-là ne se relevait et ils mouraient tous, les reins brisés. Beaucoup  d’autres détenus furent atteints de congestion pulmonaire et eurent de fortes fièvres. Lorsque les brutes s’en aperçurent, ils dirent : « Ah ! Vous avez des chaleurs, eh bien ! On va vous rafraîchir ». ! C’est ainsi qu’ils furent jeté dans les baignoires d’eau glacée et quand ils avaient perdu connaissance, ils se noyaient ou étaient jetés à temps hors de la baignoire dans une salle cimentée où ces loques humaines se traînaient à terre, cherchaient un peu de chaleur sur le corps d’un camarade qui allait expirer dans quelques instants. Un de ces malheureux chauffait ses doigts dans le nez d’un de ses camarades. Les geôliers prenaient les mesures d’êtres vivants pour leur cercueil et leur apposaient le cachet sur la cuisse, conformant qu’ils étaient morts, numérotés tant et tant. Dans cette même nuit, il y eut 32 morts.

Si l’envie leur en prend, les nazis, du haut des créneaux balaieront l’allée centrale du camp, tueront sans avertissement dans les baraques s’ils entendent trop de bruit, ou bien une trentaine de brutes vont  y entrer brusquement, la matraque et le revolver au poing, frappant de droite et de gauche. Les hommes sautent par les fenêtres et, poussés par ceux qui viennent derrière, vont s’accrocher dans les fils de fer électrifiés qui sont à deux mètres derrière.

Quelques-uns d’entre nous sont devenus fous.

Les kapos également, sans aune raison, nous appellent les uns après les autres pour nous frapper. Ceux qui tombaient sous les coups étaient piétinés.

On soignait au block 21 un très grand nombre de détenus atteints de fracture de la mâchoire provoquée par des coups de matraque donnés par les kapos.

On peut affirmer qu’à peu près 80% de ceux-là devaient être hospitalisés et mourir quelques jours plus tard.

Certains des camarades sont mort parce qu’un kapo voulait prouver à un autre kapo qu’on pouvait tuer un homme d’un seul coup.

Les internés de droit commun étaient terribles (Polonais ou Allemands). Ils assommaient un Juif pour lui prendre son pain, sa soupe. Un jeune kapo de 18 ans a tué plus de 400 Juifs pour leur prendre leur ration de nourriture.

Au poste des W.C. où l’on mène en troupeau, il faut entrer à tour de rôle. Un kapo se trouve devant la porte. Vous entrez dans le cabinet, et dès que vous y êtes, le kapo commence à compter à haute voix. Il compte jusqu’à 10 et au bout de ce temps vous êtes obligés de sortir. Si vous n’avez pas eu le temps de le faire au moment voulu, vous risquez d’être tué par un coup de massue appliqué sur le crâne. Nombreux étaient mes camarades qui périssaient quotidiennement au cours de la visite des W.C.

Le Oberkapo de la gare d’Auschwitz avait tué 30 000 détenus afin d’obtenir sa libération et pour être admis dans la garde personnelle d’Hitler.

Les femmes subissaient le même sort. On les battait, on les brutalisait. La moralité parmi elles étaient beaucoup plus élevée encore que chez les hommes.

M…. s’est livré à des exécutions de 25 coups de « gummi » sur 3 femmes juives qui avaient mangé des navets crus au déchargement d’un wagon. L’exécution de cette punition fut abominable ; les femmes hurlaient ; elles se sont trouvées mal. M… a ordonné à ses soldats de remettre les femmes tombées par terre sur la chaise et a continué de frapper.

Une autre fois, les femmes avaient ri et chanté au retour de la fabrique, il a donné l’ordre de leur faire faire une heure et demie de pose dans la neige jusqu’au mollet et face à un vent glacial.

Une autre fois encore, les femmes ayant également ri, il les fit mettre sur deux rangs, puis pris un fouet composé de 5 à 6 cordes à nœuds et les frappa en pleine figure. Pour la moindre chose, nous étions privées de manger pendant deux jours entiers.

B… passait dans le camp à bicyclette, renversant sur son passage les prisonnières, s’attaquant toujours aux plus vieilles, distribuant des gifles sous le moindre prétexte.

J’ai vu une camarade battue à coups de ceinturon par des femmes S.S.

Il y avait une S.S. condamnée de droit commun, particulièrement brutale (elle avait assassiné son mari), qui a frappé et giflé brutalement beaucoup de femmes et, à un moment où je me retournais pour chercher à voir des camarades, elle m’a giflée très brutalement et m’a donné un coup de pied dans le ventre.

Un jour j’ai reçu un magistral coup de poing de la « jument verte », parce que ce qui me servait de chaussures n’était pas lacé...

Nous l’avions surnommée « la jument verte » à cause de ses dents qui s’avançaient ; elle avait le chic pur vous envoyer un coup de poing en plein sur les lèvres, qui vous défonçait la mâchoire ou vous cassait les dents.

Une autre Oberscherin nous est arrivée, qui nous menaçait toujours de son révolver ; nous l’appelions « la dompteuse ». Nous avions dénommé une autre « le sanglier ». Toutes ces femmes sortaient des camps de jeunesse hitlérienne où elles avaient subi un entraînement spécial. Elles étaient elles-mêmes très durement menées.

Souvent les femmes S.S. s’amusaient à se montrer l’une à l’autre la manière la plus forte dont elles dirigeaient leurs internées : on appelait une internée et en plein atelier elle était passée à tabac par chacune des femmes S.S. L’une d’elles, qui était petite, montait même sur une table pour pouvoir ainsi atteindre avec ses pieds la poitrine de l’internée qu’elle frappait de toutes ses forces.

La « Lagerseerka » était une mégère maigre et repoussante. Elle se distinguait par son sadisme et des dérèglements sexuels ; elle était à moitié folle. A l’appel du matin ou du soir, elle choisissait parmi les femmes épuisées et amaigries la plus belle qui avait conservé plus ou moins un aspect humain et, sans raison aucune, la fustigeait sur les seins. Quand la victime s’écroulait, la « lagerseerka » la rappait entre les jambes, d’abord de sa « peitche » puis de ses souliers cloutés. Ordinairement, la femme laissait derrière elle une traînée sanglante. Après une ou deux exécutions de ce genre, la femme devenait infirme et ne tardait pas à mourir.

Une femme a été envoyée, sur dénonciation d’une internée allemande, au block des condamnés à mort pour avoir donné de l’eau à une Juive.

Nous étions arrivées à 120 au camp. Au bout d’’un mois il y avait 30 de mortes.

Certains jours, on donnait l’ordre au chef du block de faire mourir un certain nombre de femmes. Ces femmes étaient battues jusqu’à ce qu’elles tombent. J’ai vu moi-même le Lager se remplir de cadavres ; on aurait dit des mouettes blanches étalées sur la neige.



L’APPEL

Qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il fente, le matin dans le brouillard, au soleil, le détenu doit subir l’appel.

Réveil à 3 h. ½ du matin.

S’il vous arrive de flâner une minute dans votre lit, vous êtes sortis à coups de triques et aspergés d’eau froide.

Les femmes malades n’étaient pas exemptées de ce supplice ; je dis ce supplice parce que j’ai vu des quantités de femmes s’évanouir transies de froid, les pieds dans la neige en plein vent glacial. D’ailleurs, comme il fallait avoir 40° de température pour être admise à l’hôpital, je vous prie d’imaginer ce qu’est l’intolérable attente d’une prisonnière qui a 39°5 de fièvre et qu’on arrache brutalement d’un lit sinon chaud du moins tiède. Nos gardiennes, femmes soldats qui étaient féroces pour nous, nous confiaient sans honte d’ailleurs que c’était dans le but de nous faire disparaître. Je me suis évanouie une fois par faiblesse et je me suis ranimée par hasard, sans aucun soin.

Plusieurs fois même, j’ai dû monter à l’appel des camarades évanouies ou en crise d’épilepsie ; nous devions les poser par terre à côté de nous et ne pas nous en occuper. J’ai reçu plusieurs fois des coups de poing et de matraques des policières ou des sentinelles femmes (allemandes ou polonaises) pour m’être occupée de femmes en pleine crise d’épilepsie qui se roulaient dans la boue.

Lors du premier appel, une de mes amies était malade. Très naïvement, je vais trouver notre « blockowa » et je lui demande : « Madame, je m’excuse de vous déranger, mais une de mes amies est très souffrante, ne peut-elle pas être dispensée de l’appel ? » Elle m’a répondu : « Madame, ici, celles qui meurent vont à l’appel ».

Et en effet, devaient monter à l’appel, non seulement les mourantes, mais même les morts de la journée afin que le compte soit exact. On les mettait sur un banc qui était porté par deux détenus.

C’est ainsi que 3 fois j’ai dû tenir les morts pendant l’appel. J’ai fait remarquer au S.S. que cela semblait inutile. Il a répondu : « Mort ou vivant, tout le monde doit être présent » et il a terminé en me disant : « Appel ist Appel (l’appel c’est l’appel).

Morts et mourants étaient traînés chaque matin sur la place d’appel.

Il y avait parmi nous une enfant d’environ 6 mois. Cet enfant était tenu de venir à l’appel avec nous, mais il était gênant puisqu’il devait être porté dans les bras et empêchait l’harmonie des rangs. Un S.S. a alors décidé qu’il serait désigné comme « kommandiert » au bordel. (Les kommandiert étaient des kommandos déportés affectés aux différents services intérieurs du camp ; ils bénéficiaient d’un régime spécial privilégié, puisque leur travail les dispensait de l’appel). Le S.S. ajouta que l’enfant aurait ainsi des soins plus « mutterich » (maternels). J’ai demandé le motif de son arrestation, il m’a été répondu : « Gefâhrlich fur das Grosse-Reich » (dangereux pour le Grand Reich).

S’il manquait un camarade à l’appel, nous devions rester là tant qu’on le cherchait.

J’ai vu à Mauthausen un camarade russe, arrivé à l’appel avec 5 minutes de retard, qui eut la tête écrasée à coups de pieds par 12 S.S.

Une fin tragique fut réservée au rabbin E… qui souffrait de dysenterie et qui, un jour arriva en retard de quelques minutes à l’appel du soir.

Le chef de groupe le fit saisir et tremper la tête la première dans les latrines, puis il l’inonda d’eau froide, tira son revolver et l’abattit.

On restait à l’appel jusqu’à 5 h. ½ debout, les bras le long du corps, devant les « offizierinnen ». Il était défendu de parler, sans cela elles vous jetaient des seaux d’eau à la tête, et il faisait froid le matin.

Le kapo de notre block a tué l’un de nos camarades parce qu’il n’était pas au garde-à-vous. Il l’a frappé d’un coup de poing sous le menton et une fois que le malheureux a été par terre, il l’a étouffé en lui appuyant le pied sur la gorge.

L’appel du soir durait également souvent des heures. Ainsi c’était des heures entières que les pauvres détenus devaient rester exposés aux rigueurs du climat polonais.

Le camp de Ravensbrück est un ancien marais asséché. La terre y était noire, elle brûle. Il y en avait qui avaient la moitié des mollets rongés, ça s’attaquait à la figure aussi, c’est le terrain qui mangeait la chair ; celles qui y étaient depuis longtemps, avaient des plaies épouvantables. Moi, je ne pouvais pas les regarder.

Après 12 heures de travail et un appel à 18 heures, tout se camp se rassemblait à nouveau sur la place pour un appel de nuit, particulièrement fatigant l’hiver, les soirs de grands froids.

Il y avait des appels interminables de jour et de nuit, sous la neige. Ces stations duraient 3 heures, quelquefois 4, même 6.

Au moment de la défaite de Stalingrad il y eut un très long appel. Il dura toute la journée sous la neige. Le lendemain, on a recommencé l’appel.

12 000 hommes en rang immobiles et glacés.

Le premier choc que je reçus au cours du premier appel de nuit fut la phrase prononcée par un S.S. qui passait et qui demanda au chef de block : « Combien de morts ? » L’autre répondit : « 10 : et le S.S. de rétorquer : « Comment, si peu ? »

Et en effet, c’est à l’appel que mourait le plus grand nombre.

Beaucoup de camarades tombaient au rassemblement du matin. J’ai vu au minimum mourir un camarade par jour ; certains jours, j’en ai vu mourir jusqu’à trois.

Si l’un d’eux perdait connaissance et ne répondait pas à l’appel, on le portait sur la liste des morts et on l’achevait ensuite à coups de bâtons.

Quelquefois 6 ou 7 hommes tombaient morts aux appels après lesquels des dizaines d’autres détenus devaient être admis à l’hôpital. L’infirmerie se remplissait de moribonds. Souvent une dizaine tombaient morts, on ne les ramassait pas, c’était interdit.

Les gens s’écroulaient. Quelquefois, pour les achever on lançait les chiens sur eux.

Les S.S. et les matraqueurs les rouaient de coups de bâtons et de coups de pied pour les faire relever, ce qui était impossible car ils étaient morts.

Un ministre belge est mort pendant un appel prolongé par un froid excessif.